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Transmutation du langage, S.U.RR. n°4

Au revers de la langue, l’avers de l’Eurolangue

lundi 2 décembre 2002.
 
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e langage garde tapi en lui un étonnant pouvoir de construction et de dé-construction. Chaque mot en apparence fini n’est que l’état présent d’une quantité d’autres mots potentiels, « en suspens », qui ne demandent qu’à se manifester au détour d’un écart de langage. Seul l’usage strictement utilitaire de la parole, auquel nous sommes le plus souvent contraints, nous dissimule ces états, tout comme il nous en interdit l’accès sous couvert d’univocité, de compréhension, sous l’ultime prétexte que le langage est un code qui se doit d’être partagé par tous, à fin de communication. Et pourtant… Le langage que nous utilisons tous les jours, les mots que nous faisons servir notre pensée sont bien loin d’être innocents. Ils sont en quelque sorte « minés » de l’intérieur, prêts à faire imploser la substance même qui les compose ; et je me plais à imaginer que nous ne nous contentons pas de construire nos phrases en vertu de leur sens manifeste, mais qu’inconsciemment un jeu pervers agit de concert, dès que nous prononçons un mot, afin de créer un second degré de langage, une seconde lecture parallèle et sous-jacente, non plus guidée par le principe de réalité mais par celui du pur plaisir. Chaque phrase prononcée pourrait ainsi se révéler être l’anagramme, le cryptogramme, le message codé d’une autre phrase porteuse d’un message autrement révélateur. En partant de cette supposition, il est possible d’envisager une traque systématique, basée sur une méthode de décryptage auditif, qui viserait à déceler les glissements, les dérapages verbaux, les gouffres auditifs qui se dissimulent derrière des phrases d’aspect plus banal. Il serait ainsi intéressant de pratiquer cette traque au sein même des discours les plus « serrés », les plus tenus, les moins lâches, là précisément où on s’attendrait le moins à dénicher de telles sournoiseries verbales. C’est dans ce sens que j’avais proposé, sous forme de boutade, à la fin d’un texte paru dans le deuxième numéro de la revue S.U.RR, de procéder à une relecture paranoïaque critique des discours des politiciens (1).

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Boniment
Jeux des Petits transparents

Quelques années plus tard, désirant vérifier ce qu’une telle proposition avait de réalisable, je décidai de choisir arbitrairement les premiers termes qui me venaient à l’esprit et qui représentaient à mes yeux toute l’ignominie et la bassesse quotidienne (c’est-à-dire les mots et les expressions les moins susceptibles d’éveiller d’échos sensibles en moi). M’imposant une durée de réflexion de deux à trois minutes par terme, afin de ne pas sombrer dans une recherche par trop laborieuse et par trop artificielle, je m’efforçai de déchiffrer le « sens occulte » de ces mots sous la forme de contrepèteries ou d’anagrammes les plus parfaits possible. Sur les quinze mots et expressions arbitrairement retenus, seuls deux se refusèrent à me livrer leur secret. Voulant savoir si cette « facilité » m’était propre ou si le phénomène à l’œuvre était de nature plus vaste, je proposai certains de ces mots aux amis du groupe surréaliste et leur demandai, en essayant de respecter les mêmes contraintes, de fournir à leur tour ce qu’ils « entendaient » poindre derrière ces expressions, soit sous forme d’anagrammes, soit sous forme de contrepèteries ou d’homophonies. Les quelques propositions qui suivent rendent compte de cette expérience.


Suivant la proposition de Marcuse de se forger un contre langage afin de combattre l’idéologie charriée par le langage, on pourrait imaginer étendre cette méthode à la pléthore de mots, expressions, notions qui chaque jour encombrent de la façon la plus nuisible notre horizon sensible et peut-être - qui sait ? - ayant ainsi su démasquer l’ennemi dans ses postures, soulever un coin du voile opaque et empesé qui cherche à nous dissimuler les contours de la vraie vie.


La guerre ethnique
= Galère qui te nie (Bertrand Schmitt)
= Glu hantée qui erre (Dominique Paul)
= Le nègre et trique (Anny Bonnin)
= Niquer l’athée grue (Guy Girard)
= Nique à l’éther (Michel Zimbacca)


Assemblée nationale
= Essaim blême et atonal (B. S.)
= L’âne notable essaime (D. P.)
= Semblant d’ascension (A. B.)
= Lion natal sème bas (G. G.)
= Nasse à blabla rationné (M. Z.)


Chambre des députés
= Brame des chutes d’épées (B. S.)
= Bras d’empesté déchu (D. P.)
= Déesse brume tachée (G. G.)
= Chat des putes ambrées (M. Z.)


Secrétaire d’État
= Sectaire et attardé (B. S.)
= Cratère à disette », Ce taré de traité, Tâte ce désir raté (D. P. et Laurent)
= La récréation sera retardée (A. B.)
= Cratère se tâte (G. G.)
= Décret d’hétaïre sucrée (M. Z.)


Raison d’État
= Étais de raton (B. S.)
= A daté son tir (D. P.)
= Ta déraison (A. B.)
= Têtard n’osai (G. G.)
= Taisons tes rats (M. Z.)


Légion d’honneur
= Gelure d’oignon (B. S.)
= Rognon né d’huile, Rue d’ongle honni, Euro, loge d’H.I.N.N (Hommes Infiniment Nuisibles Naturellement) (D. P. et Laurent)
= Léger du neurone (A. B.)
= Groin ne hèle don (G. G.)
= Légueur d’horions (M. Z.)


Ancien combattant
= À combien cent ans ? (B. S.)
= Tant ce nain combat, Tant en combat Caïn, Tic-tac, mont Banane ! (D. P. et Laurent)
= Batracien comblé (A. B.)
= Bien con en attend (G. G.)
= Combien tant attends ? , Antienne battre à cons (M. Z.)


Général de corps d’armée
= Carne germée de corps et d’âme (B. S.)
= Clé de sang : père à mordre (D. P.)
= De l’encore mal géré (A. B.)
= Carpe mégère ne râle ne mord (G. G.)
= Rare gêne de carpe damnée (M. Z.)


Les cours de la Bourse
= Labours d’où l’air cesse, No labour of course (B. S.)
= Ce bordel sûr à l’os usé (D. P.)
= La course à la bourre (A. B.)
= L’ours sec de la brousse (G. G.)
= Les bourres de la course (M. Z.)


Directeurs des relations humaines
= Recteur de reddition, hume la haine (B. S.)
= Tueur en chaîne, désir sali de morts (D. P.)
= L’écumeur de la délation, Manie d’écumer la délation (A. B.)
= Dix rations d’heures se démènent (G. G.)
= Ramène tes dires à l’humeur de tes râles, Délation ruminée du recteur, Rallumeur des nations ridées (M. Z.)


La Marseillaise
= L’arme assaillie, alias sale rime (B. S.)
= Ma laisse rallie, Salir le malaise, Il alarme asiles (D. P. et Laurent)
= S’arme niaise (A. B.)
= Laisse l’art mâle, Amarre ta laisse (M. Z.)

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Arsenal
Jeux des Petits Transparents

(1) : « Le langage que nous utilisons tous les jours n’est pas innocent. Il est en quelque sorte miné de l’intérieur. À quel point sommes nous consciemment avertis de cela ? Nous contentons-nous de construire nos phrases en vertu de leur sens manifeste ou bien un jeu inconscient et pervers se met-il en branle dès que nous parlons, afin de créer en parallèle un langage essentiellement ludique, guidés en cela par une sorte de principe de plaisir ? (Il serait ainsi instructif de traquer les contrepèteries et autres jeux occultes du langage dans les discours politiques, par exemple.) » « J’en fourche ma langue », in S.U.RR n° 2, 1997, pp.20-21.