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Alexander Cozens

(1717-1786)
mercredi 23 octobre 2002.
 
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es rares allusions faites ici et là à cet artiste anglais et à son traité le plus fameux : Nouvelle Méthode pour secourir l’invention dans le dessin des compositions originales de paysages renvoient presque toutes à l’article de Henri Zerner, publié en mai 1966 dans la revue L’Œil. Jusque-là, le texte et les indications de Cozens étaient restés lettres mortes en France et, même dans les pays anglo-saxons, il n’en subsistait que trois exemplaires complets, avec leurs planches illustratives du plus haut intérêt, qu’examineront avec attention, au siècle suivant, Constable et Turner.

Si l’article de M. Zerner donnait déjà quelque lumière sur un praticien des arts tombé dans l’oubli, nous disposons aujourd’hui, à son sujet, grâce à Jean-Claude Lebensztejn, d’une somme énorme de renseignements, d’informations et de prolongements inattendus en amont et en aval. Sous le titre général de L’Art de la tache, ce dernier a donné, en effet, aux éditions du Limon, l’intégralité du texte de Cozens, A New Method…, imprimé à Londres pour l’auteur en 1785, suivi de sa traduction littérale en français et précédé d’une longue et passionnante introduction abordant, de manière simple et érudite, les théories de l’imitation en art, de l’invention et de la création, de l’Antiquité au XVIIIe siècle et, de là, jusqu’à nos jours, à partir de l’origine naturelle de l’art. Pour Cozens, en tous cas, la cause était entendue : « On perd trop de temps à copier les ouvrages d’autrui… et l’on passe trop de temps à copier les paysages de la nature elle-même. » Et pour inventer du nouveau, suite à sa propre expérience et aux leçons de Léonard de Vinci, qu’il dit avoir lues sur le tard, il proposait de s’en remettre pour le peintre aux taches faites par hasard, sur le papier ou sur la toile, « qui inclinent à élargir les pouvoirs de l’imagination… ouvrir l’esprit et le mettre sur la voie de pensées neuves ».

« Une tache artificielle suggérera, disait-il, différentes idées à différentes personnes… un seul et même dessinateur pouvant aussi faire des dessins différents d’après la même tache… » : ici, on est déjà tout près des tests de Rorschach (1884-1922). D’ailleurs, dit-il, avant de livrer des conseils techniques, « la pratique du tachage peut aider même le génie ; et là où le génie est latent, elle aide à le produire au jour ». Et l’on se trouve alors du côté de chez Hugo, de Max Ernst ou de Matta.

Grâce à Jean-Claude Lebensztejn, nous voyons mieux les enjeux d’un problème qui déborde d’avance la mise artistique puisqu’il opère sur la place de l’homme dans le monde, entre le hasard et la nécessité. La philosophie des Lumières, le Romantisme puis le Surréalisme se sont repassé la question avant d’arriver comme lui à se demander comment le même rapport à la nature, la même fascination de l’origine produisent à la fois, au XVIIIe siècle par exemple, Vignon et Boullée, Bernardin de Saint-Pierre et le Marquis de Sade, l’art académique et les taches de Cozens. Mais, comme tous ceux que rien n’arrête, « la plus grande audace de Cozens ne fut pas de faire des taches : ce fut de les publier et d’en faire la théorie ». William Beckford, qui fut son élève, puis son ami, décrit ainsi Cozens, au manoir de Fonthill : « Il est ici très heureux, très solitaire et presque aussi plein de systèmes que l’Univers. » Cozens, en effet, proposait sa « Nouvelle Méthode… » non comme un art de mieux dessiner, mais comme un remède systématique, et par là renouvelable à volonté, aux défauts de l’œil, aux maladresses de la main et à l’imagination défaillante.

Depuis, l’automatisme et la poésie ont pris le relais, mais Alexander Cozens en est, sans contredit, l’initiateur, même involontaire, celui qui donne enfin le signal du départ, après les « Assez vu… Assez eu… Assez connu… », que déplorait plus tard Rimbaud, avant de se lancer, lui aussi, sur les terrains de « l’affection et des bruit neufs ».

Alexander Cozens, L’Art de la tache,
présentation de Jean-Claude Lebensztejn, éditions du Limon.
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Le matin est le matin est le matin est le matin
Alena Nadvornikova