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Transmutation du langage, S.U.RR. n°4

De deux choses une ?

dimanche 20 octobre 2002.
 
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Marinela Pelosi

Nous disions « de deux choses une », je dirai : de deux choses mille ; de mille une parmi, celle que j’ai choisie, et dont je peux parler.


Une qui permet tout en étant « au travail » de faire place au sensible et à l’imaginaire.


Tout ce travail mené à petits pas, d’instant en instant, par petites touches, à hauteur d’enfant, en décomposant gestes et mots.


Corps en mouvement, mots mimés, voisés, étirés, repris, reliés aux objets choisis, à l’image, au dessin, à l’écrit. Sons modulés, chant et musique, percussions, mélopées, jeux de voix. Parler feutré ou crié, ou dire ou se taire. Entrer en résonance de sensible à sensible pour, ensemble et très souvent, avec les ou l’un des deux parents présents, permettre à l’enfant de découvrir son langage propre, son expression, ses mots, sa voix.


Il y a un émerveillement partagé à entendre la voix venir, les mots surgir comme d’une source claire ; victoire ressentie par l’enfant, surpris de ses propres émissions ; jubilation.


Je relate une histoire permettant peut-être de repérer un de ces moments forts.


Antoine est assis à une petite table face à moi. Nous terminons un jeu d’encastrement, ma stagiaire est présente, je lui propose, en demandant implicitement du regard à Antoine, si elle serait d’accord pour lui faire passer quelques petits items de bilan orthophonique.


- Y t’aime ? demande-t-il avec un beau sourire.


Il semble certain de l’intérêt que nous lui portons et utilise des mots tout neufs. Nous rions, lui aussi.


Cette voie choisie rend également attentif à ces instants où, en situation de jeu partagé, quelque chose bascule avec perte de repères, un événement surgit, générateur d’avancées.


Pour illustrer ce propos, une autre histoire avec Noël, jeune enfant trisomique de trois ans, très loin de la relation, qui présente des manifestations autistiques importantes avec une histoire particulièrement lourde.


Les séances sont rondes mais étranges, travaillant surtout la contenance, l’être avec, l’échange tenu.


Je le suis dans ses déplacements.


Il n’accepte que rarement ce que je lui propose.


La séance touche à sa fin, je m’apprête à le quitter, mais ce n’est pas possible, sa mère ne revient que dans trois quarts d’heure et la séance suivante avec un autre intervenant ne peut avoir lieu ! Je dois poursuivre !


Je ressens alors un énorme poids.


Que faire ? Les bras m’en tombent.


Je lui propose de s’asseoir, ce qu’il accepte, à mon grand étonnement !


Je prends un morceau de scotch, fixe une feuille sur la table, pensant lui proposer de faire un dessin.


Il déchire la feuille,


je recolle,


il redéchire,


je recolle.


C’est un jeu, ça devient un jeu. Colle ! décolle ! Colle, décolle. Je déchire ; d’un souffle, un petit bout de papier s’échappe, je le vois qui me sourit et à l’aide d’un signe mime l’avion.


Il décolle, je décolle, nous décollons ! Cet enfant qui me pesait, devient léger, nous sommes complices d’un jeu. J’aurais pu continuer des heures.


Par la suite, quand il faisait mine de partir pendant les séances, au lieu de bloquer la porte, il suffisait d’un mot, geste ou regard pour qu’il reste vraiment là.


Chaque enfant arrive au Centre avec un paquet de difficultés, des parents en attente, envahis de questions, inquiets.


Les séances sont aussi des temps de pause où la souffrance peut se dire, mais où se crée un monde suffisamment approprié, médiatisé, poétisé, pour que de nouvelles forces se prennent, que des mots prennent corps, que la pensée s’exprime, que la voix vibre.


C’est comme une minuscule petite étincelle à transporter au-dehors, quand nous avons la chance de pouvoir la laisser advenir.


Les enfants, par leur légèreté, nous permettent d’y accéder.


Comme le dit André Breton :


« Chaque matin, des enfants partent sans inquiétude. Tout est près, les pires conditions matérielles sont excellentes. Les bois sont blancs ou noirs, on ne dormira jamais. »


C’est de cet état, privilège de l’enfance que ponts et passerelles nous sont tendus, pour que des uns aux autres la transmission opère, par delà nos savoirs, et…s’étende.



Extrait d’un texte « exprimé » lors d’une journée d’étude sur le thème « Entre pédiatrie et psychanalyse », avec pour titre choisi collectivement : De deux choses une.

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La Fin première
Jean Terrossian