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Bertrand Schmitt et Anna Pravdová

Misères et grandeur de Toyen

mercredi 23 octobre 2002.
 

Le 21 septembre de cette année, Toyen aurait eu cent ans. Tous ceux qui ont eu le privilège de la rencontrer ou la chance d’approcher son œuvre savent qu’elle fut non seulement parmi les plus audacieux, mais aussi et surtout les plus justes des peintres du siècle passé. Pourtant, si ce n’était la passion de quelques-uns de ses amis, Toyen serait aujourd’hui condamnée au silence ou victime des plus incroyables imbécillités. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à regarder le sort qui lui a récemment été fait. Scandaleusement oubliée lors de l’exposition La Révolution surréaliste (comme beaucoup d’autres surréalistes étrangers), elle est présentée dans la plaquette de La Saison tchèque en France, à l’annonce de l’exposition qui lui est consacrée à Saint-Etienne, comme « Une femme surréaliste [...] femme et à ce titre une des muses - peut-être une des amantes - du grand maître du surréalisme ». On croit cauchemarder. Comme le dénonçait déjà Annie Le Brun dans sa réponse à la revue Obliques, en 1977, « voilà la femme surréaliste apparaissant comme le cadavre exquis qu’attendaient tous ceux que la révolte féminine épouvante et que la rigueur surréaliste terrorise ». L’amalgame apparaît d’autant plus ignoble que l’on sait avec quelle énergie Toyen refusa d’endosser le rôle qu’on lui réservait de « femme » et plus encore de « Muse » (le pauvre Feuerstein qui s’était un jour risqué à offrir une rose à celle qu’il se permit d’appeler « la muse du Devetsil », en fut bon pour une sévère déconvenue). Le fait de colporter les ragots les plus vulgaires et les plus grotesques quant à une imaginaire liaison entre Breton et Toyen ne mériterait pas tant une mise au point qu’une correction. (Toyen n’avait-elle pas promis d’en donner une à un vague ex-surréaliste qui colportait pareilles allégations sur son compte et celui de Štyrský À la lecture d’une telle annonce, l’exposition de Saint-Etienne laisse donc augurer du pire, et c’est dommage lorsqu’on mesure l’oubli et le silence dans lesquels l’œuvre de Toyen est reléguée chez nous.

Il reste ailleurs d’autres initiatives. Ainsi ce catalogue d’une exposition à Zagreb. Si les textes ne sont pas tous inédits (ceux de Radovan Ivsic et d’Annie Le Brun avaient déjà été donnés à un numéro de la N.R.F. l’année passée), les reproductions offrent à voir des toiles et des dessins assez peu reproduits (du moins en France), comme ces peintures du début des années 1920 (dont celles du voyage en Dalmatie, au cours duquel Toyen et Štyrsky se rencontrèrent), quelques œuvres de la période artificialiste, et deux curieux petits croquis-portraits de 1976. Quelques autres documents peu connus, comme une lettre illustrée de Štyrský datée de 1927, relatant son vertige face à la mer, ou un portrait photographique de Toyen par Heisler, viennent compléter cet ensemble intéressant. On saura également gré à Annie Le Brun de corriger les erreurs de l’imposante monographie de Karel Srp, et d’en finir avec les prétendus « collages », exposés abusivement comme tels à Prague en 2000, et qui ne sont que des planches préparatoires sur lesquelles Toyen collectait et classait des éléments découpés, qu’elle destinait à de possibles travaux à venir.

Bertrand Schmitt et Anna Pravdová

(Exposition Toyen, Musée d’Art moderne de Saint-Etienne, du 28 juin au 30 septembre 2002.)

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Jean-Pierre Parragio