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De l’Onde en particulier

mercredi 22 novembre 2006.
 

Le Nil a remonté son cours et je suis né d’un éclat intérieur
de la volupté.

Ce mot qui a toute l’allure de l’annonce faite,
par rien d’autre que la chose elle-même, son
rythme tonal s’enveloppant de silence, retirant son
accent, prononçant la suspension d’un battement
de coeur et sans elle, coquille déposée au soleil du
plaisir... mais la volupté déroulant toute l’oreille
interne instaure l’instant de ces toujours qui font
plus que « toute l’eau de la mer ». Trouvaille,
innovation ou réinvention, qu’importe, pour nous
ce mot est désormais un nom.

Quand, dénonçant « une fin du monde qui n’est
pas la nôtre », de celles qui ne savent enfanter que
jugements et menaces d’amplification des stériles
répétitions de l’histoire, André Breton place, en
1948, la lampe dans l’horloge, il appelle le surréalisme
« à procéder délibérément à un renversement
de signe ». Il lui assigne ainsi de mettre l’accent sur
l’affirmation de la vie sous le « signe ascendant ».
Unique déchiffreur et rassembleur des trésors de la
sédition, il vient de découvrir et répercute aussitôt
les magnitudes d’une oeuvre de totale originalité et
en désigne la clé, « que Malcolm de Chazal a
d’ailleurs bien voulu laisser sur la porte » et qui
« réside dans la volupté, au sens le moins figuré du
terme, envisagée comme lieu suprême de résolution
du physique et du mental. »
Et devant l’ampleur de la découverte, son
étonnement on ne peut plus partageable : « Il est
stupéfiant qu’il ait fallu attendre le milieu du vingtième
siècle pour que la volupté, en tant que phénomène
qui tient une place sans équivalent dans le
conditionnement de presque toute vie, trouve le
moyen de parler d’elle-même sans plus s’embarrasser
des voiles dont l’hypocrisie la recouvre que
d’une parure licencieuse de défi sous laquelle elle
réussit à se dérober aussi bien. »

Pour nous qui, un demi-siècle plus tard, avons
cru ne partir que de sa désoccultation d’une
notion restreinte de la jouissance, dont l’érection
en « principe de plaisir » ne s’est suffi qu’en s’appelant
à son propre au-delà, ce signalement majeur
a dû agir à travers ce que les occultations voulues
ou subies de l’aventure surréaliste ont confié ou
laissé aux maturations en nous et hors de nous,
des gisements en puissance de « vraie vie ».

Ces occultations nous en répercutent les
échos, entre autres quand nous nous demandons
aujourd’hui : est-ce pur hasard, accident ou
nécessité vitale que son objectivation s’entreprenne
à une époque où le désenchantement
généralisé, à l’échelle d’une acculturation mondiale,
laisse place à des perspectives proprement
infernales ? Ou bien : fut-elle jamais, toujours,
l’initiale inspiratrice de multiples interprétations
du monde ? Fut-elle à l’origine du partage en
quelque communauté ou ne se révèle-t-elle, sans
intercession culturelle, qu’être par être, aux sens
des esprits les plus réceptifs ? Et, lorsque nous y
plaçons nos espoirs, que pouvons-nous attendre
d’une re-co-naissance de la volupté que nous
cherchons à dégager, tant de nos
expériences respectives, de l’idiosyncrasie
de nos esprits et de nos
comportements, que de notre
aspiration à un potlatch digne de
son envergure ?

Un sens partagé de la volupté
irradiant les voies de conductibilité
de la pensée, des irréductibles
de l’automatisme ou du
rêve aux jonctions et révélations
de l’analogie s’éclairant de leur
complémentarité, devrait à tout
le moins réintroduire un sens
nouveau de l’harmonie, réinspirer
de son pouvoir de conception,
le nôtre, confirmant le surréalisme
comme le plus complet
échangeur de la pensée capable
de ses propres dépassements.

Si, partant des sciences dites
conjecturales, on parvenait un
jour à en constater la réalité
comme phénomène concernant,
par exemple, toute la biologie et,
plus encore, toute la dynamique,
une telle appréhension rationalisée
resterait insuffisante à sa
compréhension en nous, sans le
recours à l’imaginaire commun,
au mythe.

« En chute libre le corps ne
sent pas son poids. »

Ô mère de la vénusté, à son
tour accouchant de toi, écho du
sublime et de l’un à l’autre écho immergeant l’un dans l’autre, ponctuant
ce chemin où l’un s’enchante divinement de la libre devance de
l’autre et s’émeut si violemment lorsque, de rigueurs en atteintes, il lui
faut maintenir leur avance !

Volupté, amour qui me vit.

Sous-jacent à l’idéologie ou à l’utopie, le mythe reste le plus profond
instigateur des destinées particulières et publiques en reflets
réciproques dans ce que l’on démultiplie en autant de sous-cultures
que de formes de la misère. Penser que l’on peut soustraire l’un des
éléments de cette trilogie au bénéfice des autres dans ce qui anime
l’Histoire, revient à en refouler les espoirs, sous couvert, ici, du
mythe messianique, à pérenniser l’usage castrateur de son idéalisme.

Comme l’écrit Joël Gayraud : « Les émeutes de la faim ne sont
jamais des émeutes pour l’avoir mais pour l’être. [...] l’émeute pour
la subsistance n’est que le premier moment de la reconquête parl’affamé de la souveraineté sur son corps. » Et c’est bien l’expression de cette souveraineté à
reconquérir qui a manqué au mythe et à l’élan
révolutionnaires et en a permis chaque fois les
subversions manichéistes.

En regard des épreuves de toutes natures qui, de
l’entrée dans la vie, mènent à son terme, l’accroissement
en conscience de ce qui s’éprouve comme le
plus complet bouleversement de l’être ne peut que
l’éclairer sur les répétitions de ses propres désastres,
donner la mesure de ses démissions et fournir aux
bases d’un nouvel entendement.

S’il y a des voies, pour une conscience partagée,
de faire l’économie du drame qui ne la réveille
qu’un trop court moment historique et d’obvier à
l’alternative tragique entre guerre et révolution,
terrorisme provoqué et chantage aux droits élémentaires,
dans le seul but d’entretenir de haut en
bas la confusion entre pouvoir et propriété, valeur
et fiction de l’échange, elles passent par la reconnaissance
dans la relation de l’homme à lui-même,
de la primauté de ce qui n’a jamais pu et ne pourra
jamais s’évaluer.

Irréductible à l’expression d’autre chose que d’un
tout qui ne présente ni haut ni bas, la volupté semble
défier chacun des abords d’une recherche parcellaire.

Fée des métamorphoses, au guet de nos projections
provoquées d’intuitions aimantées, d’obsessions
aux objets à perdre, de pensées en distraction
de leurs méthodes, elle ne se joue qu’à même
la chair du voeu méconnu.

Comme ce qui nous est lumières visibles ou
invisibles dans la majesté du noir qui semble les
enclore, réfractant les idées dans leurs traversées
charnelles, irisant la conscience du bouquet de nos
sens, elle nous rend la transparence où se joue
toute communicabilité.

Quelle mémoire maintiendrait ne serait-ce que
la signature de cet état de l’esprit et du corps alors
que la dynamique les alternant comme contenu et
contenant l’un de l’autre laisse émerger nos facultés
de résilience ?

Dans Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme
ou non
(1942) invoquant « la grande rosace
étincelante qui se balance sans poids, la fleur enfin
éclose de la vraie vie », appelant à faire en nous
« la part sensible de l’éphémère et de l’éternel »,
parcourant d’inépuisables réseaux de correspondances
qui, en dépit du panorama des ruines matérielles
et morales, se régénèrent aux refrains du
désir, André Breton interroge les quanta supérieurs
à nos dimensions, dégage les convergences
entre de libres hypothèses scientifiques et l’imaginaire
d’un poète. Il y détecte un mythe en élaboration,
en désignant les « Grands Transparents »,
qu’il propose dans la perspective ouverte par
Novalis : « Nous vivons en réalité dans un animal
dont nous sommes les parasites. La constitution
de cet animal détermine la nôtre et vice versa. »

Quelles cultures, en survivances, échappent à
un tel effet de miroir, tendu à deux siècles de distance
 ? Aux prises avec une aggravation galopante
de son propre parasitisme, entre urgence et catastrophes,
l’humain ne se trouve-t-il à devoir exiger
d’abord de lui-même plus qu’un changement, dans
ses liens sociaux plus que des transformations,
mais un écart radical d’avec toutes les formes religieuses
ou idéologiques d’anthropomorphisme ?

Si tout ce qui bouge doit ou se doit d’être ou de se
retourner sur soi-même, si se répandent les ondes émises par la volupté, si ce qui s’éprouve conjointement d’abolition du temps et de l’espace participait de quelque magnétisme et, comme
la tête flagellée vouée à la procréation faisait passage et transmission d’unité d’un ordre de dimension à un autre, d’une
perspective du temps à une autre, posant le germe subtil de l’interrogation en un point suffisamment dense, tout désigne la
volupté pour consteller les facultés humaines en quête parmi les inconnues et les inconnus au coeur de la genèse du mythe des
Grands Transparents.

Quand plaisir et douleur en fusion s’abolissent, quand l’amour et l’objet d’amour ne se distinguent plus
d’eux-mêmes ni du reste, paraît la transparence du désir éclairé de lui-même. Et toute la liberté de notre
désir à venir, Volupté, tient de ce que, détentrice de la formule du feu, tu ne seras jamais captive d’un mythe
à ta révérence.

Michel Zimbacca