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Prométhée, moi ?

A l’occasion du salon du livre anarchiste Rouen, juin 1995
juin 1995.
 
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encre de Guy Girard

Le propos majeur du surréalisme est de rendre à l’esprit tous ses pouvoirs. Nous pensons que ces pouvoirs prennent leur source dans la pensée poétique. C’est la poésie qui révèle les véritables enjeux de la conscience. C’est elle qui unifie notre connaissance et qui authentifie notre rapport au réel.

Mais dans ce qui veut s’imposer aujourd’hui comme réalité, ces pouvoirs sont confisqués par la société capitaliste. Pour assurer sa domination planétaire, elle ne fait que poursuivre et adapter le vieux travail de division de l’homme, entrepris par les civilisations patriarcales.

L’apparition du surréalisme en 1919 est due à la rencontre de quelques hommes parcourus du même frisson intellectuel et sensible. Ce phénomène est déjà collectif.

Se reconnaissant dans un même défi révolté, les premiers surréalistes mettent spontanément en commun leurs pratiques poétiques, et en les définissant vers 1924, ils s’organisent en opposition radicale et active aux formes de vie et de pensée environnantes. Depuis, nous éprouvons toujours la transmission du rêve, l’intervention politique, la mise à jour des désirs, l’objectivation de la pensée, comme une seule et même nécessité, et multiplions nos moyens individuels par l’activité collective.

Nous sommes en relation avec de nouveaux amis que la technologie moderne nous a permis de rencontrer. D’Internet au vrai café où chaque semaine nous nous réunissons, nous aimons à dire que " des êtres se rencontrent et... ".

Des groupes surréalistes existent à Madrid, Chicago, Stockholm, au Brésil, en Grande-Bretagne, et bien sûr dans l’ancienne république tchèque et slovaque où nos amis de Prague, Bratislava, et ceux de Brno allument bien des incendies d’humour et de poésie.

Nous refusons l’exploitation de l’homme par l’homme, qu’elle soit d’ordre économique ou qu’elle agisse sur le sensible et l’imagination.

Dans l’amour, l’imagination, d’autres dimensions que la raison ne nous permet pas de concevoir, s’éclairent à divers feux.

L’art magique, les mythes, les contes, l’art brut, l’hermétisme, jouent des réseaux d’analogie dont la musique nous est essentielle.

Nous voulons mettre en péril le confort de l’entendement.

Nous refusons de nous enfermer dans le désespoir de cette fin d’ère.

Nous dénonçons les divertissements où s’affirment soi-disant et prétendus penseurs de notre époque.
Nous refusons de nous soumettre. Nous avons dénoncé bien sûr, la montée du fascisme, et ses appuis religieux et divers, la guerre du golfe, salué la révolution des Indiens du Chiapas, la lutte de Taslima Nasreen, celle des femmes algériennes. Nous dénonçons aujourd’hui la reprise des essais nucléaires par Monsieur Hiro-Chirac, et plus généralement tout ce qui porte atteinte à l’équilibre écologique.

Par des jeux collectifs, des expérimentations, mais aussi dans les productions individuelles, nous faisons œuvre de résistance, nous forons d’autres voies hors modes, hors hoquets créatifs. Notre révolte est à la mesure de notre volonté d’être libres, et de rencontrer des êtres libres de toute soumission aux fétiches des religions, des nations, de l’économie dominante, du patriarcat, et de tout autoritarisme. Le surréalisme multiplie ses investigations et expériences créatrices, afin de rassembler tous les éléments d’une réalité non dissociée du désir, et de sa réalisation dans l’amour. C’est imaginer et penser qu’un enchantement puisse fonder de nouveaux rapports sociaux. TRANSFORMER LE MONDE, CHANGER LA VIE, reste pour nous une seule et même exigence révolutionnaire.

La société voudrait désormais considérer le surréalisme comme un fait culturel parmi d’autres. C’est pour mieux l’isoler et le réduire. Mais le surréalisme est projet de civilisation. Son mouvement de création continu initie d’aujourd’hui à demain le devenir de l’utopie.
TANT QUE L’IMAGINATION LUTTE, LE SURREALISME EN EST LE FEU ET LE PORTEUR DE FEU.