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Saisies

mercredi 22 novembre 2006.
 

1. Comment décririez-vous la volupté ? (Celle que vous
éprouvez, celle que vous partagez.)

Partir d’un nombre suffisant de descriptions
avait pour but de rassembler des éléments de
réponses permettant de formuler une définition
reconnue de tous. Devant une question que la plupart
ne s’étaient jamais posée formellement à distance
mémorable, la conscience alertée s’est
confiée tout d’abord à la sensation : « ascension
commune, éclatement ou immersion » (A. B.),
« sensation d’envol, d’apesanteur » (A. D.), « état
mi-océanique, mi-aérien » (J. G.).

En référence analogique à l’extérieur mais aussi à une
totalité interne : « sensation d’évidence qui le dispute à un
sentiment de jamais vu [...], je ne suis plus moi-même »
(B. S.). « Aspiré par la sensation d’une involution précipitée
 » (M. Z.), « volupté je me perds, je ne sais si je parle de
moi ou de celle qui me regarde » (G. T.).

Tour et retour sur soi, plénitude dans la disparition, de l’un
à l’autre s’échangent un jeu de réflexion sans miroir : « La
volupté serait-elle cette sensation personnelle de la matière
première ? » (M. B.) « Noeud de soi-même et offrande généreuse
 » (A. D.), « qui m’étreint et me fait étreinte d’un autre en
moi » (G. G.), « les distances qui séparent dans la vie quotidienne
les êtres entre eux, les choses entre elles, et les êtres
eux-mêmes avec les choses, ce temps et ces distances, comme
par enchantement sont suspendus et n’existent plus » (J.-P. G.).

Dimensions où êtes-vous, d’où nous revenez-vous ?
« Sublime infinitude de l’être au monde, tout intellect évaporé
[...], la volupté est un don du corps dans la ténèbre du coeur »
(M.-D. M.). « Tout à la fois aveugle et voyant à 360° » (M. Z.). Elle
« est un lever de rideau qui nous met, notre ombre et nous, au
monde » (D. P.), « nous laissant comme à un réveil, au renouveau
d’un premier jour » (M. Z.).

En somme, tout autre chose qu’un cycle pour les encyclopédistes.
Soit la définition :
Volupté : phénomène vital dont l’expérience vécue par
l’homme est indistinctement ressentie physiquement et psychiquement,
le rappelant à des nécessités et aspirations fondamentales,
opérant le plus manifestement à travers l’orgasme
dont il se distingue, synesthésie qui emporte l’esprit et
retourne l’être comme un gant.
Elle ouvre toutes nos fibres à l’altérité, à l’attraction de la
poésie universelle, et nous laisse avec sa « révélation
muette » - perception tangible de la liberté - à nos capacités
de renouvellement.

2. Pensez-vous que, par-delà le plaisir, l’orgasme et sa
jouissance, il y a des conditions particulières pour que l’acte
sexuel engendre la volupté ? Lesquelles ?

Quelque diverses qu’en soient les expressions,
trois conditions s’imposent avec la même évidence :

I. La volupté ne nous investit que dans un état
d’entière disponibilité. Abandon de la conscience
de soi, de toute veille de la raison, de toute
emprise de la nécessité et suspension de l’instinct
de conservation.

Toute volonté maintenue, y compris celle d’atteindre
« l’absente », ce qui la distingue de l’orgasme.

II. Ce moment d’abandon total a ses racines
dans une disponibilité plus large. Celle qui se
donne, à travers les aléas de notre vie quotidienne,
le luxe de l’extrême vacance attendue dans nos
relations aux êtres et aux choses, de la qualité des
liens que nous leur prêtons, affinités électives
favorisant toutes synchronies, en un mot de notre
perception poétique de la vie, de ce que celle-ci
nous incite à surmonter, à exprimer, à faire.

III. L’abandon requis n’est pas pure allégorie
« spirituelle ». Dans son mouvement porté vers
l’autre, approfondi du « Grand Autre », le désir
lâche prise, se résout en lui-même en reconnaissant
consciemment ou inconsciemment son creuset
en l’autre.

3. Que nous dit-elle sur notre condition de vivants ?

Elle nous dit « que notre être n’est pas individuel
mais communiel » (E. M.). En regard des
conditions élémentaires de la vie qui ne se poursuit
dans la durée et ne s’étend dans son milieu
qu’en se nourrissant d’elle-même, que signifie
cette intervention ponctuelle suspensive de toutes
leurs contraintes, nous gratifiant d’un « bain cosmique
 » comme pour nous rappeler au sentiment
de notre participation à l’univers ? La volupté nous
met en relation avec d’autres rythmes naturels ou
mentaux, de la pierre à l’oiseau, du nombre à
l’océan. « Elle m’incline à fortement teinter d’animisme
mon athéisme » (G. G.).

Si elle est « le vif du vivant, l’essence de l’être »
(A. B.), elle peut nous incliner à penser que « la mort
n’est pas indispensable, ni qu’elle doit avoir cette
importance que lui accordent d’autres moments
moins heureux et moins conscients » (G. G.), elle peut
aussi être grand pavois dressé d’une « Lady Lazare, je
meurs et je revis » (G. T.). Mais de cette transformation
initiatique « nous ne pouvons pas dire grandchose
rationnellement puisque nous étions de l’autre
côté du rideau » (D. P.).

Le corps se dilate jusqu’au souffle qui le fait passer
par le chas de l’aiguille : voici une aube ; il « s’albifie », et ce moment suspend les subjugations de la
linéarité comme le moyeu immobile supporte le
mouvement, comme le vide calme le centre des petits
et infinis vortex. Aussi, après les effets d’un tel
« silence chaleureux », le mental imprégné préfère se
garder d’interpréter, et recourir à une équivalence
cryptique qui laisse de part et d’autre les portes
ouvertes : elle « ne nous en dit RIEN et dans ce rien
nous permet d’être au monde » (M.-D. M.).

Et d’en sortir : recourir à l’étymologie, délicieusement
la même que celle du mot « volonté », de
l’indo-européen *wol/wel qui a donné volo, « vouloir »
en latin, (w)elpomaï, « s’attendre à, espérer » en grec.
« Elle est à mes yeux le paradigme d’élection pour
l’expérience de l’extase » (J. G.). « Si le corps s’accroît
de son objet d’amour, alors le nouveau corps formé
peut continuer à s’accroître indéfiniment selon le
désir qui le guidera au sein de son réel. » (M. B.)

Face à la dégradation d’une totalité considérée
comme un système, il a fallu au « vif du vivant, à
l’essence de l’être » une négation pour s’affirmer
avec la vie devant la conception d’une entropie
généralisée. « Dans la volupté s’effondre, comme
un laborieux château de cartes truquées, la triste
dualité entre soma et psyché, corpus et anima qui
traverse la civilisation occidentale, de Platon à
l’Otan » (M. L.).

La volupté serait-elle le pilote prometteur
nous engageant à la lutte et à l’oubli de soi ?
Nous dévoile-t-elle une continuité subtile allant
de l’inanimé à l’animé ?

Elle est « ce qui me ramène à la vie en tant que
phénomène universel et partagé » (B. S.).

« La vie est encore là, depuis mon coma je sais
que je peux mourir, que je dispose de ma vie, et
donc l’approche de la volupté, comme toute grande
sensation existentielle, est plus facile à saisir dans les
petits moments du quotidien (le spectacle d’un
lever de lune, un éclat de soleil sur un parebrise...)
 », écrivait alors et nous disait Sabine
Levallois.

Nous reviendrons sur les expériences limites,
subies ou tentées, que semblent nourrir, plus près
de la conscience, les racines de la volupté, l’ouvrant
à la réception de diverses formes non
sexuelles de ses efflorescences.

4. Quel éclairage vous apporte-t-elle sur le sens de la vie, de la mort, et de leur reproduction ?

La question précédente posée sur le mode
général a reçu des réponses convergeant vers un
sens qui reste à explorer. Celle-ci, plus individuellement
adressée, nous proposera-t-elle une diversité
d’interprétations ?

S’il est communément admis que le plaisir
sexuel concentre l’énergie des dépenses conjuguées de « l’être partagé » (J. G.) vers un point culminant
d’où il l’irradie d’une détente bienfaisante, qu’en
est-il devant ce que nous donne la volupté ? Nous
laisse-t-elle devant l’éternel point d’interrogation
qui jalonne le parcours de tout ce qui peut ressentir
 ? « Les mots "vie" et "mort" y sont décomposés
en lettres » (D. P.). « La volupté est ce point précis
où je peux affirmer "je vis" en ayant véritablement
la sensation profonde, intime, et inaltérable de
l’être au moment même où je le dis. Elle est cette
certitude qui ne me fait plus rechercher de sens à la
vie ou à la mort mais qui les impose simplement
dans leur plénitude et leur évidence » (B. S.).

« La volupté témoigne [...] de la discontinuité
continue de l’existence, elle nous révèle que tout
en nous meurt et renaît dans un tumulte incessant,
que l’on n’arrête jamais de faire l’expérience de la
mort et de l’enfantement. Parce qu’elle part pour
revenir, et revient pour partir, la volupté nous
indique que la vie n’est authentique qu’en interrompant
ce que le prolongement ne pourrait que
gâter, qu’en instaurant un commencement qu’il
faut toujours reprendre à neuf » (E. M.).

« L’être tendu vers cette soif d’être » (A. B.),
« la volupté nous confirme que la vie en re-créations
continue, lutte à même notre fond, nous
exhorte à participer à la négation du règne apparent
de l’entropie en répondant de notre intégralité
individuelle dans ce qu’elle a d’unique, ce
possible pour l’espèce » (M. Z.).

Suggère-t-elle les voies d’un possible développement
 : « N’est-ce pas une chose extraordinaire que
cette matière unique qui nous compose à l’instar du
cosmos et qui, pourtant, se différencie dans le
moindre organisme vivant ? » (M. B.) « Peut-être la
volupté nous mène-t-elle à l’étoilement » (G. T.).

Elle est ainsi à l’évidence connaissance initiatique
 : « Elle est proche de la joie d’un gai savoir
qui ne cesserait de lever ses voiles vers de plus
aigus raffinements » (M.-D. M.).

« Par cette sensation de dilatation imaginaire
de mes membres vers la courbure de l’infini, l’efflorescence, peut-être, de mon corps astral, j’accède à une autre dimension de mon être en échappant
à ce que je crois habituellement être. Est-ce,
au mieux, une initiation (tout éphémère et très fragile)
au méta-corps du poème de la matière ? Cela
fait écho à certains rêves illuminants (ou viceversa),
et cela repose la question du sacré, par rapport
à une conscience de la féerie immédiate de la
nature naturante » (G. G.).

5. Pensez-vous pouvoir la considérer comme le bien
absolu ?

En évoquant la notion d’absolu, dont le contenu
se perd pour augurer de ce que peut receler le motde volupté, cette question cherchait à débusquer le
piège qui le reléguait aux fonctions adjectives, à ce rôle
de jouissance réservée à une possession, secrète ou
spectaculaire, selon des moyens cumulables en vue de
s’en entretenir en conjuration illusoire de tous les maux.
Les réponses qui ont fusé rejettent pour la plupart aussi
bien la notion d’absolu que celle de bien, sauf à dire :
« Comme le poème, elle est l’amour réalisé du désir
demeuré désir, une réalisation qui perpétue une nonréalisation,
un début de vérité dont la quête doit être
sans cesse reprise » (E. M.).
En la situant au-dessus des contradictions, la majorité
des réponses réaffirment son déliement de toutes
contingences et la situent à la croisée des résolutions
dialectiques, comme l’un de ces noeuds marins qui se
libèrent d’un seul mouvement. « Son franchissement
sans restriction culmine au-dessus d’un divin qui
n’avance aucune volupté » (M. Z.).
On pense à la porte à la fois ouverte et fermée de
Marcel Duchamp comme à l’Entrée ouverte au Palais fermé
du Roi,
d’Eyrénée Philalèthe.

6. Participerait-elle, au centre d’une conscience et/ou d’une
inconscience approfondies, du point suprême de l’esprit, tel que l’a
exprimé André Breton ?

Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et
la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable,
le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement.
Or c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que
l’espoir de détermination de ce point.
André Breton

Devait-on s’attendre à ce que le rapprochement
proposé donne lieu à diverses relations d’expériences
vécues permettant d’avancer des aperçus affirmatifs ou une quelconque récusation. Pour avoir des
chances de pouvoir témoigner de ce qui reste
autrement insaisissable, ténu, indicible, il eût fallu
se situer en ce point. Cela n’a pas empêché que
l’ensemble de nos réponses souligne que cette
« participation » tient de l’évidence. Sentiment
dont on ne saurait récuser la source cognitive,
source familière où s’altère et se désaltère la soif
surréaliste et qui fait apparaître tout effet de
connaissance profonde comme une reconnaissance.

Sommes-nous en chemin vers ou placés là
devant « l’infracassable noyau de nuit », ou évoluons-
nous autour d’une « masse critique » susceptible
de nous appréhender tout entiers et qui
soit propre aux plus désirables transmutations ?
« Il ne s’agit ni de conscience ni d’inconscience,
mais de la rencontre érotique - au sens musical du
terme - de deux êtres sur la pointe la plus aiguë, la
plus « pointue », la plus acérée, la plus élevée, la
plus extrême, du point suprême de l’esprit, le
point dialectique où toutes les contradictions sont
niées/conservées/dépassées (Aufgehoben selon
Hegel) » (M. L.).

Sublime et volupté. Comment s’unit ce couple
et quel jeu laisse-t-il à notre conscience, à notre
réflexion ? De l’identité à l’analogie, de la convergence
au parallélisme, de la conjonction au croisement
renversant comme l’optique sur la rétine du
sensible, « esprit-corps » indissociés, pointant
l’unicité concrète en chacun, tant que l’ivresse sauvegarde - ou anéantit - le flacon. Comment et
pourquoi ? Effloraison. « Elle nous renvoie à
cette commune présence en laquelle tout écart
s’abolit ; mais étant impossible à retenir, et ne
brillant que du seul éclat de sa disparition, elle
reste toujours un début de vérité qui s’élève et
meurt, sans cesse incertaine de renaître » (E. M.)

7. A-t-elle pu inspirer plus ou moins directement
quelques civilisations, quelques traditions, quelques utopies ?

L’arc semble tendu entre les antécédents sauvages,
les rites archaïques, la civilisation surréaliste tels que
nous pouvons les rêver, et les mises en pratique d’utopies
dans certaines communautés de romantiques ou
de celles « traversées par l’esprit de 68 » (S. L.).

Fidèles d’amour, société des amis du crime,
maîtres du jouir célébrés par Segalen, bronzes tibétains
« accouplant chacune des divinités de son
panthéon à sa shakti, son énergie vitale » (M. Z.),
civilisation grecque tragique « qui affirmait la vie
dans son tragique même, et qui, éclatant sous la
pression de la joie, parvenait à rire, à jouer et à
danser sous l’effet de l’ivresse et de la volupté »
(E. M.) dans l’agora des cités des utopistes « qui
délèguent au sublime et à la beauté de la nature la
possibilité de l’inspiration », News From Nowhere de
William Morris, communauté transparente de
Char, théâtre balinais ou celui de la cruauté sont
apparus et pourraient signifier que « la volupté
serait à la base de toute création » (G. T.). Elle est
le « cantique des cantiques qui scelle l’union [...]de
la chair et de l’esprit » (J.-P. G.).

Fourier bien sûr, même si le mot est rare chez
lui, à la réserve près que, s’il valorise le plaisir
sexuel, la jouissance ne semble pas « basculer de
l’autre côté
, aller jusqu’à l’autre côté de l’autre aussi,
ce que nos normes considèrent folie » (D. P.).
Peut-être plus celle de Restif de la Bretonne dans
les Posthumes où « le duc Multipliandre, qui peut à
son gré pénétrer le corps de n’importe quel être,
visite les diverses planètes et goûte aux charmes de
toutes les créatures extra-terrestres » (G. G.).

« Ultérieurement, avec la division sociale et le primat
croissant de l’économique, la place de la volupté
a été reléguée dans les marges de l’intime, voire du
clandestin, ou renversée en sacrifice après avoir été
déniée aux hommes et monopolisée par le divin. [...]
C’est paradoxalement dans l’ordre du mythe qu’une
représentation positive de la volupté se maintiendra
et, avec la force d’une nostalgie dialectique, nourrira
les rêves d’émancipation. Ainsi l’idée même d’utopie,
nourrie par le mythe de l’âge d’or, participe pleinement
de l’extase voluptueuse » (J. G.).

Cependant la volupté ne naît que dans un athanor
bien luté : « Tout voyage à Cythère me paraît
être de l’ordre des amants, c’est-à-dire asocial
[...] Individuelle, amoureuse ou éprouvée par plusieurs,
la volupté est toujours marquée par la clôture
 » (M.-D. M.). Volatile, vertigineuse, elle semble
plutôt avoir caressé des inspirés.

Les exégèses qui nous font remonter de l’entrelacs
des civilisations vers leurs origines en se
rapprochant des lieux et moments de leurs inventions - religions s’instituant, traditions qui les traversent
ou se perdent - nous laissent, sans exception,
devant les éléments blanchis d’un puzzle de
plus en plus effacé. L’œuvre du temps a bon dos
qui aurait oublié une « histoire » par ailleurs et
alentour suivie. Pour parvenir à s’instituer, à socialiser
des aspirations élémentaires, faut-il qu’une
société occulte le charme particulier, le renouvellement
poétique imprégnant la vie quotidienne dont
elle se revendique, et perde jusqu’aux traces
remontant vers sa source ? Que pourraient infléchir
les découvertes d’une histoire de la sensibilité
« ayant comblé les lacunes entraînant les répétitions
de l’autre »[1]. Rites, représentations originelles,
pratiques chamaniques, sagesses isolées,
etc., sont aujourd’hui masqués ou dévoyés par un
spiritualisme oecuménique en réciprocité d’allégeance
avec un « humanisme » économique qui
s’en font la grimace, carêmes et carnavals.

Mais, possessions, extases, voyances, combien de mondes se proposent comme autant de modes
cognitifs qui élargissent le champ perceptif d’un
infra à un ultra, méconnus de nos outils rationalisés ?
Dans les dimensions de cette parenthèse que
s’est donnée la forme sexuée de la vie, ce qui « en
nous meurt et renaît dans un tumulte incessant,
n’arrête jamais de faire l’expérience de la mort et
de l’enfantement » (E. M.), nous enjoignant « de
nous appartenir tout entier » (André Breton), s’en
vient, toutes croyances et représentations abolies,
des complétudes de son ouverture à celle de sa
clôture, de l’immémorial écho de ce que nous
nommons ici volupté.

8. Pourrait-elle, sans pour autant être banalisée ou
exploitée, être assumée par une société et à quelles fins ?

Cette question, volontairement formulée aux
limites du concevable, provoque des réponses partagées
mais des deux côtés prudentes. D’une part
des esquisses de considérations conditionnelles
qui pourraient en créditer l’utopie, de l’autre l’inquiétude
allant de la réserve à la négation pure et
simple, la volupté étant ressentie, de manière
dominante, comme l’ultime ressource de l’être en
butte à l’emprise sociale.

Une société se fonde sur des principes organisateurs.
Comment supposer qu’elle pourrait « se charger
 » de la volupté ? La menace d’appropriation est
dans le fondement même du verbe « assumer ». Or il
en va du coeur de l’être, la « volupté n’est pas un fondement,
elle est une flèche » (D. P.).

Elle pourrait dans une société où serait évident
le « caractère non nécessaire […] de l’économie »
(J. G.), être reconnue, au mieux, comme nécessité
vitale, « pivot du jeu social ». Mais elle est avant
tout la « préoccupation exclusive des amants »
(G. G.). Alors, pour affronter cet indépassable,
nous ne pouvons qu’envisager un retournement.
Dans une société aux racines mobiles où le pouvoir
semblerait un étrange reliquat de sociétés
mortes, qui le liaient en l’empêchant de se relier,
l’homme pourrait s’affirmer dans ses désirs réels.

Il faudrait en outre que cette société refusât
« d’ôter aux circonstances leur hasard d’auréole
[...] loin de ces mondes organisés et ennuyés où
l’homme ne rencontre plus que lui-même » (E.M.).

« La volupté doit demeurer l’inconnu, l’exceptionnel,
l’inouï, ce qui déjoue tous nos repères et
nous invite à reconfigurer le monde de manière
toujours nouvelle » (E. M.). Mais elle ne peut se
banaliser si l’on écoute « les multiples promesses
chantant dans notre chair, si l’on reconnaît en
l’autre un infini qui nous échappe et qui, comme la
musique, creuse le ciel » (E. M.).

« Fusion de l’être avec l’univers », elle est
« entrée de l’infini dans notre finitude », « canal
de guérison » (G. T.) sur les ailes du peyotl-ciguri
chez les Tarahumaras. La volupté est promesse,
vertige, voyage, initiations. Nul ne la reçoit qui ne
se soit délesté de son fardeau social ou intellectuel.
Pourrait-on imaginer une société où « la volupté
serait reconnue comme moyen de connaissance (et sa
fin) », sinon à ce qu’elle y soit « secrète, érotisant les
consciences, et semant des signes invisibles que
d’autres (re)-co-naîtront » (S. T.).

Notre pessimisme intellectuel, sentinelle du
désir veillant à l’illusoire, l’emporte-t-il sur les
impatiences de sa propre révolte ? Ce débat permanent
en chacun comme en notre collectif trouvera-
t-il à cette occasion une acuité particulière, un
éclairage nouveau, un plus judicieux rapport
d’angle de « notre écart absolu » ?

Le bellicisme contemporain, qui prétend à la mise
en ordre mondiale, justifie son propre extrémisme
contre un axe du mal, exhortant une conscience
morale, exaltant l’inconscience mortifère.
Si l’on se rapporte à la prudente conclusion du
Freud de 1934 dans Malaise dans la civilisation : Et
maintenant, il y a lieu d’attendre que l’autre des deux
« puissances célestes », l’Éros éternel, tente un effort afin de
s’affirmer dans la lutte qu’il mène contre son adversaire non
moins immortel.
On ne peut manquer de relever le
germe d’espoir mis en l’Éros que recèle cette formulation.
Quel pouvoir lui prêter qui serait
capable de porter leur dualité à sublimation ?

La participation de Thanatos à l’érotique, discernable
dans la majorité des cultures, le trouble et
l’effroi provoqués mêlés au désir de leur dépassement,
ne lève-t-il pas les représentations mythiques
d’autant d’Édens projetés vers le passé
comme vers le futur ?
De tout ce que nous laisse à entendre le passage
de la volupté, que saurons-nous agir et changer,
d’avoir éprouvé pleinement en perception
directe le coeur de la liberté, affranchie des
rigueurs de son combat initial ?

9. De l’infiniment petit à l’infiniment grand, concernet-
elle les phénomènes cosmiques dont nous n’appréhendons
que la mécanique, mais dont les mouvements forcent à
l’analogie ?

Sans doute cette question se prête à un dégagement
à 360° de la perception poétique cherchant
ses communications de la plus consciente à la plus
inconsciente. L’être ? ÊTRE tous azimuts et réciproquement.
Toutes lettres par-dessus les maux.
Les mots débordés, débordant leurs couleurs
se recomposant à loisir dans le jeu
infini des correspondances. Tout est
dans tout qui est la main de sable, si
détachée qu’elle tourne sans air ni
sol au-delà des systèmes. Sa liberté,
la liberté c’est le vol. Ici et maintenant
égale tous les toujours du
coeur. Le vol, c’est la volupté, son
ampleur, option de l’en deçà de son
plus fulgurant porteur, l’orgasme.
Cessons d’imaginer. Ce qui vient au
« réel » nous tend sa faim nouvelle :
cessons d’imaginer pour voir.
Cessons de voir pour savoir ce qui
nous est tout su et relire le délire de
ce monde tel qu’il est et se rêve et
ajuster le tir de nos répliques.

En a-t-on assez aperçu de cette
Secrète et Généreuse pour confronter
nos pratiques individuelles et
collectives aux plus ascendants des
signes entrevus, attendus, pour leur
prêter plus que notre imagination à
l’affût joueur, s’il a une chance et
faire voile de ses ailes ?

Entre possible et commencement
notre attente est commune.
Que chacun, rassemblé dans sa substance,
ose et propose bientôt ses
inspirations les plus inductives.

[1] Une histoire de la sensibilité telle que
les Conférences d’Haïti (données par André
Breton lors de son séjour sur l’île en 1945-
1946) pourraient en inspirer l’idée.