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Réponse de Guy Girard

mercredi 30 novembre 2005.
 

1- Comment décririez-vous la volupté ?
(Celle que vous éprouvez, celle que vous partagez.)

Un cercle de vastes dimensions tournant autour du point central du plaisir orgasmique, le pressentant d’abord, le vivant, en en prolongeant toutes les ramifications et les virtualités où la dimension imaginaire se fait de somptueuses brèches dans le réel enchanté par le désir extatique de l’aimée. Un cercle, ou plutôt une sphère de sensations englobantes axée autour de l’expérience du désir comme autour d’un feu originel s’évase une pieuvre de fumée, qui m’étreint et me fait étreinte d’un autre en moi, d’un autre moi apaisé par ce feu et issu de quel lointain, outre mémoire, et soudainement habitant complice de la chaleureuse proximité du monde, de ses révélations et de ses intuitions de chair lumineuse. Le réel devient souple, ondoyant - présent se diluant dans une immédiateté suspendue, où je rencontre à nouveau celle que j’aime et le délirant mystère d’être au-delà, ailleurs que sous le poids de nos identités.

2- Pensez-vous que, par-delà le plaisir, l’orgasme et sa jouissance, il y a des conditions particulières pour que l’acte sexuel engendre la volupté ? Lesquelles ?

Les conditions ne sont pas par-delà, mais alentour du plaisir, avant, pendant, après : la volupté est un climat, une subjectivation des conditions extérieures gagnées par le même frisson qui fait de la peau tantôt une steppe et tantôt un velours de corail survolé par des mouettes au promesses de framboise. Il y a un abandon au temps qualitatif qui précède et poursuit la conjonction sexuelle, l’englobe dans une sphère de béatitude où enfin le monde objectif, la chair de l’esprit et l’esprit de la chair vont du même tempo harmonique. Ces conditions sont d’abord celles de l’amour qui me délivre de mon être rugueux et des banalités quotidiennes, qui me glissent dans l’épaisseur presque réelle des images mentales que j’échange avec ma compagne, et c’est encore un jeu qui rompt avec sa frénésie ou sa bouffonnerie, et les angoisses d’hier. Une luxuriance possible de l’ici -et-maintenant démultiplie nos mains, et il ne s’agit même plus de se rêver ailleurs, de faire l’amour aux sources de l’Orénoque ou au pays de Cocagne : nous y sommes déjà.

3- Que nous dit-elle sur notre condition de vivants ?

Que la mort n’est pas indispensable, ni qu’elle doive avoir cette importance que lui accordent d’autres moments moins heureux et moins conscients. Que le merveilleux est aussi une certaine façon de s’interroger sur ce que peuvent ressentir comme volupté d’autres êtres animaux, végétaux, voire minéraux. Elle m’incline à fortement teinter d’animisme mon athéisme.

4- Quel éclairage vous apporte-t-elle sur le sens de la vie, de la mort, et de leur reproduction ?

Par cette sensation de dilatation imaginaire de mes membres vers la courbure de l’infini, l’efflorescence, peut-être, de mon corps astral, j’accède à une autre dimension de mon être en échappant à ce que je crois habituellement être. Est-ce, au mieux, une initiation (toute éphémère et très fragile) au méta-corps du poème de la matière ? Cela fait écho à certains rêves illuminants (ou vice-versa), et cela repose la question du sacré, par rapport à une conscience de la féerie immédiate de la nature naturante.

5- Pensez-vous pouvoir la considérer comme le bien absolu ?

Je n’entends pas l’idée d’absolu, et surtout pas dans cette expérience de la volupté qui nécessairement culmine à des altitudes différentes, et ne laisse heureusement parfois à maitriser pas même son sillage. Si ma morale me fait désirer avec l’amour toute sa volupté, je ne fais pas de celle-ci un emblème moral, en la désirant puisqu’elle peut me réconcilier en un moi autre, par delà mon acquis névrotique et ses querelles. Je n’incline pas non plus, malgré toute mon admiration pour Sade, à en faire, avec le désir, le principe dynamique d’un Mal qui n’a que valeur de dénonciation et de rebellion contre un Bien donné comme légitime. Il serait plus juste envers le potentiel poétique et donc subversif de la volupté, de passer, rêveusement, outre, par delà le bien et le mal.

6- Participerait-elle, au centre d’une conscience et/ou d’une inconscience approfondies, du point suprême de l’esprit, tel que l’ a exprimé André Breton ?

Oui, elle y mène et n’est pas la seule, tout en ayant l’avantage de n’y pas mener seul.

7- ’A-t-elle pu inspirer plus ou moins directement quelques civilisations, quelques traditions, quelques utopies ?

L’utopie de Fourier, très certainement, quoiqu’il ne me semble pas qu’il ait employé souvent ce mot, dans ses investigations méthodiques sur les passions et leurs necessaires reconnaissance et partage comme gage d’un meilleur essor social. Mais celle-ci surpasse largement toute autre utopie (une, pourtant, est sans doute à retenir : Les posthumes de Restif de la Bretonne, où le duc Multipliandre, qui peut à son gré pénétrer le corps de n’importe quel être, visite les diverses planètes et goûte aux charmes de toutes les créatures extra-terrestres), comme bien des projets ,voire des réalisations révolutionnaires où la triste nécessité du travail (et pas même du travail attrayant des phalanstériens cueilleurs de cerises) l’emporte sur tout autre jeu social. Il y a bien sûr les fêtes révolutionnaires, et plus près de nous, Mai 68, mais si la volupté est le signe d’une fabuleuse reconquête de ses pouvoirs par l’individu, elle m’apparait prendre toute licence plus dans le secret de l’amour que dans l’orgie transgressive concluant jadis les plus belles émeutes.

Des anciennes civilisations ou de celles dites primitives, quels témoignages sont assez subjectifs pour nous informer aussi valablement que certaines toiles de Gauguin, pourtant si nostalgiques ? Il y a ce que nous transmet la poèsie amoureuse de toutes les époques, est-ce à mettre dans la même balance que les relevés des ethnologues ? Il y a aussi comme pour Théophile Gautier, la possibilité de rêver devant un pied de momie.

8- Pourrait-elle, sans pour autant être banalisée ou exploitée, être assumée par une société et à quelles fins ?

La volupté est avant tout la préoccupation exclusive des amants. On peut bien sûr, il nous faut même, imaginer une société où l’amour soit le pivot du jeu social, et l’oeuvre de Fourier est en ce sens toujours inachevée. D ’ailleurs nous avons souvent évoqué la civilisation surréaliste, dont une fin toute provisoire serait l’établissement de la couronne boréale, l’écoute émerveillée du rut des planètes et enfin des lits aux matelas de plumes d’héloderme suspect et de grand serpentaire !

9- De l’infiniment petit à l’infiniment grand, concerne-t-elle les phénomènes cosmiques dont nous n’appréhendons que la mécanique, mais dont les mouvements forcent à l’analogie ?

La volupté, comme un passage, un couloir duveté de miel entre la danse de mes spermatozoïdes et l’impossible imagination de ce qui peut bien clore l’univers s’il est limité, quelque part là-bas où une étoile double ressemble à un oursin. Si la lune influe sur nos humeurs, de quoi lui faisons-nous don en jouissant ? Fourier imaginait, après les mouvements matériel, organique, animal et social, un cinquième mouvement, l’aromal qui pourrait décrire ces flux de volupté qui circulent dans l’univers à la vitesse du désir, et nous font partager cette essence avec toute chose créée. Là encore, je ne sais que recevoir une évidence, qui est celle de la poésie.