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Réponse d’Eugénie Morin

mercredi 30 novembre 2005.
 

1) Comment décririez-vous la volupté ?
(Celle que vous éprouvez, celle que vous partagez.)

La volupté, c’est le présent qui s’accumule, l’instant dilaté, impérieux, pur de compromis ;
C’est un sourire épanoui d’ enfant comblé qui dit bis et da capo.
La volupté, c’est la fête vertigineuse de l’existence, l’exubérance cosmique.
C’est une ivresse du coeur qui jaillit dans une lumière brutale et qui porte la voix au plus haut.

2) Pensez-vous que, par delà le plaisir, l’orgasme et sa jouissance, il y a des conditions particulières pour que l’acte sexuel engendre la volupté ? Lesquelles ?

Je n’ai jamais éprouvé de volupté sans aimer, sans ressentir le long éclair de chaleur blanche émanant de l’être se trouvant à mes côtés, sans reconnaître les failles de ma monarchie solitaire.

3) Que nous dit-elle sur notre condition de vivants ?

que l’être n’est pas individuel mais communiel.

4) Quel éclairage vous apporte-t-elle sur le sens de la vie, de la mort, et de leur reproduction ?

La volupté que j’éprouve et que je partage est irrésistible et passagère, imprévisible et périssable ; elle ne se réalise que dans le jaillissement et ne se maintient pas ; mais sa disparition prématurée est condition de son renouvellement, sa perte laisse un espace vacant et fécond qui appelle sa renaissance ; la volupté témoigne ainsi de la discontinuité continue de l’existence, elle nous révèle que tout en nous meurt et renaît dans un tumulte incessant, que l’on n’arrête jamais de faire l’expérience de la mort et de l’enfantement. Parce qu’elle part pour revenir, et revient pour partir, la volupté nous indique que la vie n’est authentique qu’en interrompant ce que le prolongement ne pourrait que gâter, qu’en instaurant un commencement qu’il faut toujours reprendre à neuf.

5) Pensez-vous pouvoir la considérer comme le bien absolu ?

Je dirai que la volupté est potentiellement le bien absolu, mais devenant effective, elle n’en est toujours que l’intuition et l’expérience furtive : Si à son sommet, elle me laisse entrevoir sa vérité essentielle, son dévoilement néanmoins procède toujours de la proximité périlleuse de sa propre fin. Comme elle n’est que d’un instant et non le lieu d’une demeure possible, la volupté laisse en moi un désir comblé-non comblé, un plaisir plein et échancré, révélant toujours un au-delà de lui-même. Comme le poème, elle est "l’amour réalisé du désir demeuré désir", une réalisation qui perpétue une non réalisation, un début de vérité dont la quête doit être sans cesse reprise.


6) Participerait-elle, au centre d’une conscience et/ou d’une inconscience approfondies, du point suprême de l’esprit, tel que l’a exprimé André Breton ?

La volupté participe bien de ce point suprême de l’esprit, qui permet d’accéder au-delà de la rupture à l’unité, elle nous renvoie à cette commune présence en laquelle tout écart s’abolit ; mais étant impossible à retenir, et ne brillant que du seul éclat de sa disparition, elle reste toujours un début de vérité qui s’élève et meurt, sans cesse incertaine de renaître.

7) A-t-elle pu inspirer plus ou moins directement quelques civilisations, quelques traditions, quelques utopies ?

A l’utopie esthétique libertaire proposée par Morris dans News from nowhere, à "L’invitation au voyage" de Baudelaire, au Nouveau monde amoureux de Fourier, à la communauté transparente de René Char, j’ajouterai la civilisation grecque tragique qui glorifiait la vie comme un tout indissociable de souffrances et de jubilation, qui affirmait la vie au lieu de la nier dans son tragique même, et qui, éclatant sous la pression de la joie, parvenait à rire, à jouer et à danser sous l’effet de l’ivresse et de la volupté.

8) Pourrait-elle, sans pour autant être banalisée ou exploitée, être assumée par une société et à quelles fins ?

Pour que la volupté soit assumée par une société sans être pour autant banalisée, il faudrait ne pas avoir la prétention de lui oter son mystère. La volupté doit demeurer l’inconnu, l’exceptionnel, l’inouï, ce qui déjoue tous nos repères et nous invite à reconfigurer le monde de façon toujours nouvelle. Une société qui la figerait dans certains paramètres, qui l’enfermerait dans le cercle infernal et rigide de la répétition, qui cesserait de nous inciter à découvrir en nous des possibilités et des désirs insoupçonnés, finirait nécessairement par appauvrir la volupté. Celle-ci ne peut donc être vécue dans sa vérité qu’au sein d’une société qui refuserait d’ôter aux circonstances leur hasard d’auréole, loin de l’ère des planificateurs où l’aventure tend à disparaître, loin de ces mondes organisés et ennuyés au sein desquels l’homme ne rencontre plus que lui-même. Il me semble donc que la volupté ne peut se banaliser si l’on demeure réfractaire aux projets calculés, si l’on se montre prêt à accueillir le divin hasard , si l’on s’efforce d’écouter les multiples promesses chantant dans notre chair, si l’on reconnait en l’autre un infini qui nous échappe et qui, comme la musique, creuse le ciel.

9) De l’infiniment petit à l’infiniment grand, concerne-t-elle les phénomènes cosmiques dont nous n’appréhendons que la mécanique, mais dont les mouvements forcent à l’analogie ?

Si la volupté a un tel pouvoir sur les âmes, c’est que sa puissance à mon sens déborde le cadre psychologique de la relation de deux amants. La volupté comme l’amour gouverne le monde et régit les phénomènes tant biologiques que cosmiques. Il n’y a pas de vie, d’harmonie musicale ni cosmique sans volupté. C’est pourquoi éprouver et partager la volupté c’est aussi entrer en communication avec les forces vitales de l’univers.