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Jean-Pierre Paraggio

« Frères humains »

février 1999.
 

Il est particulièrement urgent de mettre en lumière la doctrine, la méthode et les procédés qui concourent à créer l’injustice faite à Antoine Soriano car elle illustre comment dans un contexte hystérique de nouvelle chasse aux sorcières et d’inquisition, et avec quelle facilité, la parole de l’individu s’auto-désignant comme enfant-victime, est acceptée par la justice et pèse plus lourd que toutes les absences de preuves et les présomptions d’innocence. Il faut lire, répétons le, la Violence impensable dont Pierre Sabourin est co auteur pour mesurer combien les procédés les plus éculés prennent une place éminente dans l’élaboration du simulacre scientifique qui tient lieu d’argumentation. La démarche est stratégique, il s’agit d’occuper le terrain, d’endosser et d’imposer le titre et la fonction du spécialiste. Les outils conceptuels ne sont qu’une simpliste contrefaçon de la psychanalyse, et l’objectif est de montrer que, dans pareilles circonstances, la maltraitance, dont la malheureuse réalité est manipulée, la fin justifie toujours les moyens. Dans le même temps, la fin est élevée au rang de croisade, elle transcende la singularité de tous les cas ; car, enfin, le psychiatre Sabourin s’est il donné la peine d’examiner le récit et les faits qu’on lui présentait ? Ont ils été envisagés avec l’attention qu’ils méritaient ? Ou bien ne s’est il pas laissé influencer par son attachement aux opinions et doctrines qu’il professe et qu’il a constamment besoin de vérifier et de confirmer ? Il est permis de s’interroger, car si ce rie fut le cas lors du déroulement de l’affaire médico-judiciaire d’Antoine Soriano, comment n’a t il pas vu et relevé les incohérences et les invraisemblances qui se présentaient à lui ? Comment un tel aveuglement est il possible ? Et, de plus, encore une fois, comment et pourquoi, dans une affaire aussi grave, a t il pu intervenir sans hésitation pour réclamer la condamnation d’un homme qu’il n’a jamais rencontré (!) ni cherché à rencontrer durant tout le temps de l’instruction ? Pareille manoeuvre menée sur une affabulation, ne peut que nuire à la cause des victimes réelles.

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Peepshow
Rachel Fijalkowska

Hasard ! Dans le numéro 4 de la revue Ellébore (troisième trimestre 1980), un article du sieur Sabourin s’intitule « Du passé qui ne passe pas ». Ce titre nous renvoie l’image insupportable du présent d’Antoine Soriano qui passe très mal, empêché de vivre sa dignité depuis maintenant dix mois. Un passé contre un présent bien trop réel Derrière cette lutte, un mystère s’épaissit : Il y a dix huit ans (1980), Pierre Sabourin rongeait déjà, publiquement, le même os qui, à mesure qu’il le digérait, se transformait en relique de croisade contemporaine. Relique... Croisade Ces mots nous rappellent quelque chose. Si cet homme consentait à fixer dans ses propres flammes le noyau dur de son obsession, jusqu’à cerner la substitution quasi religieuse qui le dévore, peut être ouvrirait il les yeux sur le théâtre du monde dont il est acteur : tragique l’accusation d’un jeune homme contre le beau père qui s’en est occupé, tragique le dépit qui ne trouve pas de mots pour se surmonter.... et tragique, sur ce terrain fertile, le médecin obsédé par sa propre doctrine qui va vérifier pour la mille et unième fois la validité de ses intuitions. Comme l’intoxiqué à l’opium, il augmente les doses : en 1980, mais ce n’est qu’un jalon, il rumine un noeud théorique, il est grisé depuis sa thèse sur Lewis Caroll ; et avec constance, il élabore la machine à broyer coupables et innocents ; en 1998, une salle entière de cour d’assises l’écoute, médusée, demander la condamnation d’un homme pris dans ses filets d’acier. Au nom d’une croisade morale contre les fléaux sociaux qui assombrissent la vie sur terre, il dénie toute réalité à cette vie, au profit de ses propres fantômes, car il a défini le Mal, son origine et son remède. jusqu’où ira t il ? Il semble qu’on s’achemine, à l’horizon 2020 selon la courbe de Kondratiev, vers une nouvelle version du Déluge : on ne sauvegardera que Sabourin lui même, parce que la parole de ce grand homme faisant preuve devant le tribunal de Dieu, la création est devenue inutile, il suffit à Dieu de se contempler dans la parole de Pierre Sabourin, amen.

Je disais hasard. Cette revue, prolongement du mouvement Phases, accueillait plusieurs des protagonistes du mouvement surréaliste, atomisés depuis la dissolution du groupe, et ouvrait ses colonnes à Pierre Sabourin. C’était il y a dix huit ans, et c’est aujourd’hui à une encolure du surréalisme qu’il prétend poser sur la photo fin de siècle en redresseur de torts. S’il cherche à vendre sa camelote et à brouiller les pistes, le mur de feu élevé entre cet individu et la poésie devrait supprimer toute ambiguïté, il faut que son museau gluant n’apparaisse plus dans l’entrebâillement de la porte poétique, surréaliste ou non. Avis, donc, aux amateurs et intéressés !

En ce mois de février 1999, nous venons d’apprendre que le pourvoi en cassation est rejeté, chacun sait que le combat qui s’annonce, après la phase judiciaire qui s’achève sur ce redoutable échec, est à inventer au long cours, il lui faut un rythme et un souffle nouveaux. Toutes les énergies seront nécessaires.

Rappelons qu’il a été condamné à dix ans de prison et à 160 000 F de dommages et intérêts, rappelons aussi que trop peu nombreux encore sont ceux qui savent quelle injustice a frappé Antoine Soriano, et comment. Une journée rencontre débat a été organisée le 27 mars à l’institut des Hautes Études de l’Amérique latine, 28, rue Saint-Guillaume, 75007 Paris, elle a réuni plusieurs comités de soutien engagés dans la défense de personnes mises en cause dans des contextes similaires à celui d’Antoine Soriano.

C’est, pour conclure, le moment d’affirmer qu’une « belle humanité » existe cependant dans ce minuit : ils furent en effet quelques uns à offrir une ou plusieurs oeuvres au profit d’ALAS *. L’exposition superbe eut lieu du 12 juin au 31 juillet 1998 à la librairie galerie L’Or du temps, rue de l’Échaudé dans le 6’ à Paris, et permit de payer les premiers frais d’avocats. Les locaux furent généreusement prêtés, et tous ceux là n’attendirent pas que la justice et ses psychiatres aient très officiellement statué sur la prétendue « culpabilité » d’Antoine, comme le souligne M. D. Massoni dans sa « Lettre ouverte à M. Pierre Sabourin », pour se ranger à nos côtés.

Tous nos remerciements à :
Jean Benoît, André Bernard, Guy Bodson, Gabriel Du Bouchet, Jorge Camacho, Gisèle Celan Lestrange, Florent Chopin, Pierre Corcos, Aurélien Dauguet, Kathleen Fox, Javier Galvez, Sonia Garelli, Alain Gauthier, Guy Girard, Jean Pierre Guillon, Telmo Herrera, Abdul Kader El Janaby, Leal Labrin, Stewart Little, Silvano Lora, Mary Low, Marie Dominique Massoni, Thomas Mordant, Jean Pierre Paraggio, Dom Pineau, Manou Pouderoux, Tony Pusey, Michal Resl, Pierre Rojansky, Antonio Segui, Gerald Stack, Martin Stejskal, Jan Svankmajer et Eva Svankmajerova, Ivan Tovar, Bastiaan Van Der Velden, Peter Wood, Michel Zimbacca, ainsi qu’aux légataires qui nous ont confiés les oeuvres de Marianne Van Hirtum, Marianne lvsic, Emile Bouchard, Adrien Dax et Philip West.

Jean Pierre Paraggio

Consulter la revue Chimères, numéro 35, premier trimestre 1999, 21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris Tel Fax : 01 43 48 74 20 E Mail : mtIc a globenet.org

* ALAS : association pour la libération d’Antoine Soriano, 25, rue Louis Morard, 75014 Paris.