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Martin Stejskal

Mon ésotérie

(fragments)
1999.
 

Dans, les dernières scènes du film la Rivière du hibou, adapté du conte homonyme d’Ambrose Bierce, le héros de l’histoire s’approche, de façon hallucinatoire, de la façade de sa maison, sans parvenir pourtant à l’atteindre. Grâce à un montage spécial, la certitude sur le point d’être atteinte sombre, encore et encore, dans la prison profonde et insaisissable de la perspective. J’éprouve un sentiment identique chaque fois que je m’efforce de démêler les quelques fils, perdus au fond d’un buisson, qui me relient à mon enfance passée au château de Zdiby, Un vaste parc, qui avait été soigneusement entretenu, faisait partie du domaine mais, laissé alors à l’abandon était devenu une sorte de jungle. Les buissons et recoins dissimulés offraient refuge à ma fantaisie et à, mes désirs érotiques.

La façade du château et moi

La façade était une représentation de l’image maternelle, aimable et apaisante. vers laquelle je revenais me réfugier après quelques expéditions aventureuses et dont je ne sortais pas toujours vainqueur.[…]

J’étais à l’époque le seul enfant au château, ainsi le parc m’appartenait en entier. J’y amenais mes copains du village torture des grenouilles - pêche de poissons avec des bâtons équipés d’aiguilles tordues, de fils et de bouchons à la place de flotteurs ; une fois, ces garnements me jetèrent à l’eau et je tombai si malencontreusement que je me coupai le pied sur une vieille pierre. […]

Stupéfaction à la vue du pénis de mon cousin, de sa taille et de sa grosseur, lorsque dans un recoin retiré du parc, il pissa devant moi sans chercher à se cacher ; jeux du docteur que je réclamais à chaque fois avec insistance à mes copines, cachettes dans des charrettes en bois qui avaient servi à transporter du purin mais qui depuis avaient séché, leur odeur caractéristique, premières Partisanes fumées. Grand accident sur le carrefour, près du tabac où on allait acheter à chaque fois deux cigarettes : masse jaune du cerveau sur un poteau blanc, lambeaux de peau couverts de cheveux, sang, benne d’un camion renversée sur le trottoir. Tatra encastrée dans le salon d’une maison. […]

L’intérieur

Grand mère une chambre avec des rideaux sombres et un lavabo en métal. Ma balançoire fixée dans la haute embrasure d’une porte et l’angoisse de la castration lorsque je me balançais en avant, angoisse qui s’emparait douloureusement de mon sexe et qui réapparaît aujourd’hui encore dans de semblables situations. Les soirées dans une immense cuisine, le coucher de soleil à travers les fenêtres et mon manque d’appétit, mes propres tentatives pour faire de la cuisine, [...]

La grandeur des pièces, l’écho, la salle avec les portraits des ancêtres qui m’effrayaient à chaque fois avec leur air sévère ; la peur d’aller tout seul la nuit dans le couloir sombre, la légende de la Dame Blanche (beaucoup plus tard encore, lorsque j’ai lu des choses sur elle, j’ai pensé qu’elle appartenait d’une façon inséparable à notre château et que toutes les légendes parlaient de notre Dame Blanche). […]

les parfums

Aujourd’hui encore, bien que difficilement, j’arrive à me souvenir de certains parfums (beaucoup plus intenses que n’importe quel parfum présent), à une certaine sorte de ciel qui me permet de revivre de façon intense et complexe mon enfance, même si cela demeure plus fugitif qu’une ombre.

Notes pour l’établissement des cartes

Sur la première carte j’ai tenté de reconstruire le domaine du château d’après les endroits liés pour moi à certaines représentations d’objets ou à certaines notions, Sur la deuxième carte sont retracés les souvenirs les plus importants de cette période. Aujourd’hui encore, il m’arrive lorsque je lis des livres d’en placer inconsciemment non seulement l’action mais également les motifs abstraits dans des endroits que je connais du château ou dans certains lieux dans lesquels je jouais à Jilemnice. C’est comme si ces lieux créaient un puissant réseau d’ancrage de la mémoire. Ceci parce qu’en visualisant certains lieux dans lesquels j’ai joué lorsque j’étais enfant, il me revient immédiatement le souvenir de lectures bien postérieures et que j’ai situées en ces lieux […]

Martin Stejskal.
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Première carte du domaine
Martin Stejskal