« Juif, homosexuel, hongrois, pédophile avec une tête d’éboueur alcoolique », les insultes racistes, invectives et menaces pleuvent sur notre ami Benoît Vitse, preuve que la bête immonde est encore bien vivante en Roumanie. Mais qu’a donc fait ce metteur en scène pour déclencher une telle vague de boue ?

Il a eu le front de monter Les Évangélistes, une pièce d’Alina Mungiu-Pipiddi, inspirée de La Tentation d’exister de Cioran. Menacé au téléphone, par courrier électronique, ayant reçu un couteau dans une enveloppe, il a renoncé à la tournée prévue, la vie des comédiens pouvant être menacée. « Les Évangélistes racontent l’histoire d’un Jésus sans transcendance, personnage un peu paumé dans un monde plutôt violent et qui voudrait ressusciter à travers ce que chacun pourrait faire en son nom. La bataille est délicate, car il se fait tuer par l’apôtre Paul, misogyne, colporteur et manipulateur. » Le Monde, 2 février 2006

La veille de la première, les églises orthodoxe et catholique demandaient l’interdiction de la pièce. Lors du sermon dominical, les prêtres demandent à leurs ouailles de ne pas aller voir la pièce ; des étudiants en théologie et des membres du Parti conservateur, bougie à la main, prient à genoux devant le théâtre. Le patriarche de l’Église orthodoxe, qui revendique 87% d’affidés dans la population, déclare : « cette pièce est une insulte à notre Église » et l’archevêque catholique Ioan Robu lui emboîte la soutane : « C’est un blasphème contre notre vie et notre foi ». Des Roumains, vivant aux Etats-Unis, parlent de « menace contre la sécurité nationale ». Vadim Tudor - le Le Pen roumain - a déclaré qu’à cause de cette pièce un tremblement de terre avait eu lieu dans un département voisin. Quant à Gigi Becali, propriétaire du club Steaua-Bucarest il est intervenue une heure et demie à la télévision nationale pour traiter Alina Mungiu-Pipiddu de déréglée hormonale, Benoît Vitse d’homosexuel et les acteurs de macaques. Il a appelé les hordes de supporteurs de son équipe de football, à donner une leçon aux acteurs en provoquant des violences lors des représentations. Le 18 décembre, le gouvernement a été interpellé à la Chambre des députés pour qu’il fasse interdire les représentations. Peut-on rire de la bêtise quand les appels au lynchage se multiplient ?

Quatre théâtres qui avaient eu le projet de monter cette pièce avaient déjà reculé sous la menace. Créée en décembre 2005, et malgré son succès, la pièce ne se joue plus que le mercredi, et sous protection policière à Iasi, à l’Ateneu-Tatarasi Centre Européen de Création, que Benoît Vitse dirige depuis trois ans. Le maire de la ville demande le renvoi de cet étranger « incapable de comprendre les aspirations d’un peuple à 95% orthodoxe » et déclare que c’est à cause de gens comme lui qu’il y eu des émeutes dans les banlieues en France.