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Insoumission poétique

préface à l’exposition "Précipité du 111", Barcelone 1997
jeudi 15 mai 1997.
 

Les hommes ont parfois plus de raison dans leurs visions
que dans leurs systèmes accrédités.

Charles Fourier

Depuis que les journalistes ont trouvé que le qualificatif « surréaliste » avait un goût de burlesque, d’absurde, d’invraisemblance, de démagogie, de cacophonie, il n’est pas de jour où un poseur quelconque ne nous le serve la bouche en cul de poule, ou pour assassiner un contradicteur. Et autant que l’épithète « anarchiste » qui ne veut dire - pour ceux là - que désordre ou terrorisme, il est victime d’une réduction de sens, et le discours dominant nous le sert à toutes les sauces. Ceux qui s’affirment surréalistes sont traités de ringards, de doux rêveurs, d’obsédés sexuels, d’intégristes d’une cause morte, ou sont tout simplement ignorés par ceux là mêmes qui disent que le surréalisme est le plus important mouvement d’avant-garde de l’entre deux guerres, et qu’il a pour héritiers la publicité, l’arrière ban des avant-gardes, ou le post modernisme.

Et bien merde ! le surréalisme a continué, le plus souvent dans une clandestinité forcée à mener son entreprise de subversion de l’entendement. Depuis ses origines, il continue d’ouvrir des pistes dans le maquis de l’inconscient, d’en rapporter des trésors sans valeur marchande. Les associations libres y mettent à nu d’anciens conflits en nous faisant arpenter des sentiers qui permettent l’accès à l’inconscient, du rêve au réel quand celui-ci tombe son masque misérable. Leur jeu permet un renouvellement du langage et amorce la libération de l’individu. Bien sûr, la psychanalyse permet-elle aussi une aventure, mais celle ci est d’ordre privé.

Au plus profond du noir jaillit la poésie. « Qui a mal invente ! » lisait on sur les murs de Perpignan, il y a quelques années. Nous luttons contre les ravages que la société fait dans les esprits qu’elle veut s’aliéner, donc contre le capitalisme et contre l’Etat. Et nous le faisons à partir de ce qui en nous-mêmes n’abdique jamais : l’imagination. Sans elle, sans son pouvoir à transformer l’instant ou à susciter des utopies, les luttes ne sont que revendicatives et restent la proie des manipulateurs affamés de pouvoir et les projets utopiques ne se différencient guère des plans d’aménagement du territoire. Nous aspirons à une autre civilisation.

La pratique de la poésie n’est pas secondaire. Pour nous il est absurde d’abandonner celle-ci à l’urgence des luttes sociales, de privilégier le principe de réalité. Ce qui a aujourd’hui le label « art », n’a plus rien à voir avec l’imagination ; c’est seulement le constat plus ou moins bricolé de la misère qui nous environne. Nous ne créons pas pour ajouter à l’art actuel quelques oeuvres de plus, conçues selon les règles d’une esthétique que nous n’élaborerons d’ailleurs jamais. C’est l’acte, le processus même de la création qui nous intéressent plus que le résultat : il n’y a pas de peinture surréaliste, mais la peinture, le cinéma, l’écrit, la photo sont des moyens de transformation du rapport au monde.

Aussi est-il aisé de comprendre que nous refusons d’être des illustrateurs d’une société que nous combattons, mais d’être aussi bien les imagiers des causes pour lesquelles nous luttons. Nos tracts ne sont pas des poèmes, et nos poèmes ne sont pas de la littérature de propagande. Aussi indispensables que nous soient les uns et les autres selon les urgences de l’événement ou du désir, les uns communiquent notre révolte quand les seconds proviennent de cette nécessité intérieure qui est à la fois cette révolte et la force de l’amour.

Que nous saluions les zapatistes, les grèves de décembre 1995, ou les marcheurs sur Amsterdam, que nous agonisions d’insultes le pape, nous le faisons du cœur même de nos exigences.

Pour notre relation à la ville, il en va de même. Quand nous avions fait l’exposition La Marelle des révoltes, à Paris, nous avions mentalement fusionné des images de Barcelone 1936 et de ce quartier qui se souvient encore de le Commune, où nous exposions. Vous en verrez des échos. Cette année, des jeux de dérives ou d’attente, nous ont une fois de plus menés à laisser surgir les réseaux d’analogie de nous aux autres, aux rues, aux constructions dont sont toujours inachevées les dimensions légendaires. Répulsion, attraction, sens cachés délivrent ainsi parfois leurs clés.

Ce que nous faisons, que nous créons, ne saurait nous suffire si cela ne sert qu’à révéler des pans de notre sensibilité . Cela ne nous émeut véritablement que lorsque l’imagination se met en mouvement, non pour copier, mais pour s’approprier un moyen d’agrandir le réel. Notre expérience prend son sens lorsqu’elle devient collective, et qu’elle provoque les individus que nous rencontrons à reconnaître leur propre pouvoir poétique.

En ces temps où s’inventent de nouvelles formes de luttes, face à un capitalisme dépouillé de ses artifices humanitaires, notre venue à Barcelone a pour nous une charge émotionnelle certaine. Ascaso, Durruti, Péret ont toujours été nos compagnons d’espoir. Nous savons que sous leur signe s’apprêtent d’autres rencontres.

Paris le 15 mai 1997

exposition à la Fundacion d’estudis llibertaris
Texte pour Solidaridad obrera