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Dominique Paul

mélancolique et voluptueux minerai d’insurrection

dimanche 29 juin 2008.
 

Le corps est le firmament de tout le réel imaginable.
Joë Bousquet

Passeur d’images et veilleur de
vies, le corps est, simplement et
irréductiblement, là. Digue
contre les raz de marée de Bien
et de Mal dont les rafales morales liquident les
hommes à travers Terre, il s’entête à vivre,
gardien de sa propre expérience indiquant ce
qui fait du bien ou du mal - aune de choix où
s’origine toute liberté. Barricade indocile faite
des sens, propres à chacun, en toute innocence,
il se confronte aux grandes manœuvres
des logiques commerçantes, industrielles, politiques,
scientifiques, technologiques et, trop
souvent, il enfouit ce qui lui permettrait de
composer la musique d’autres logiques, utopiques
celles-là. Oubliée, dévoyée, sa structure
désirante. Négligées ses révélations non
conformes. Il faut, pour retrouver l’authenticité
vive du corps, prendre la torche en plein
jour et l’échelle de l’explorateur. S’enquérir
des traces les plus immédiates de la pensée
enjoint de l’interpeler, acteur et cible de toute
connaissance du monde.

L’aiguille de la boussole dirigée vers le
corps, nous avons retrouvé, ou cru découvrir,
que c’est à la fois la source jaillie dans l’île qui
produit l’océan et celui-ci qui dépose tout son
calcaire de morts pour donner, au milieu de
l’amer, socle aux vivants. Estompant les
contours de l’individuel, nos vies ont mêlé
leurs sens, inscrivant l’ombre de la flamme
vive des magies contre le bûcher du tragique
dans nos chairs et dans nos cœurs, solidaires
d’un éternel présent. De la sorte, ce qui a
réuni un ensemble d’amis autour d’expériences
à la fois sensibles, intellectuelles et
physiques est aussi ce à quoi ils ont donné
naissance. Cette interdépendance a illustré la
perméabilité des limites de la personne et ce
qui en résulte : la création d’un nouvel être,
« corps collectif » qui relie entre eux les êtres
qui l’animent. Celui-ci peut évoluer dans le
monde avec une certaine autonomie - en tout
cas sans dépendre des volontés de ceux qui
l’ont engendré -, influençant à sa mesure la
marche de l’histoire. Nous avons ainsi parlé
de « semaine magique » car c’est outreconscience
qu’il faut chercher la clef du mystère,
le propre de tout corps étant souvent de
se conduire au-delà ou en deçà de toute intention,
c’est-à-dire sans que se réalise dans le
geste quelque pensée préconçue.

D’une enquête l’autre, d’un délit débouté,
d’images en jouissance et de rêves affûtés au
galet de l’amour, nous en sommes venus à
l’exquise volupté dont s’était noyée la source
alors que nous baignions, candides, dans l’œuf lumineux de son lit d’éclipse. La recherche ne
fait que s’amorcer, le champ des spéculations
est encore en friche et nous souhaitons que
d’autres participent à l’ensemencement dont
nous espérons des récoltes durables. Sauronsnous
jamais si le corps s’érotise de l’espace ou
s’il renvoie le monde à son désir ? Mais
qu’importe : les oiseaux fondent notre gorge,
les flaques de pluie écarquillent nos yeux et les
rivières se vautrent dans les lignes de nos
mains qu’elles creusent ; les bustes de gisants
des collines transfigurent les dépouilles reposant
là, ranimées lorsque point le soleil, mort
ou vif ; le plaisir est tonnerre, les noix alors
choient des branches et serrent, dans leur
poing de bois, un cerveau ; la bouche est
gouffre où se précipitent les esprits des lieux
et les jambes qu’on chante se prêtent aux
bateaux ; la pluie écarte le rideau des petits
rêves et les nymphes s’égaillent ; la chair ne
sait pas spontanément les dates, mais plutôt
les heures et les saisons du monde qui la couvent
comme une peau.

Le corps qui « tombe sous le sens » perd
de son évidence au fur et à mesure qu’on l’observe,
qu’on en fait l’objet de dissection de sa
curiosité même - la vie toujours déborde la
science. Les rencontres les plus décisives étant
les plus involontaires, pour comprendre ne
faut-il pas lancer en avant ses membres en
apercevant à peine l’appui suivant ? Ce n’est
pas agir inconséquemment, c’est savoir que l’apparemment inconnu est connu quelque
part en soi et nous entraîne, si l’on veut bien
baisser l’éblouissant phare de la conscience
raisonneuse qui fait zigzaguer vers les ornières
à l’extérieur de la chaussée. En nageant autour
de l’île du corps, au gré des marées de nos
pensées, « au petit bonheur », nous continuerons
d’essayer d’en savoir plus.