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Quel est votre rapport au jeu ? / Quel joueur êtes vous ?

1996.
 

- 1. Quel est votre rapport au jeu ?
- 2. Quel joueur êtes vous ?

Passe passe temps

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dulte, je n’ai jamais vraiment pu me contenter de ces jeux de « société », passe temps de bon ton et de bonne compagnie. Mauvais joueur, il m’est toujours apparu que ce que je cherchais dans le jeu était d’une autre nature, et que ce qui était mis en oeuvre là avait ses racines du côté perdu de l’enfance, ses motivations dans l’évocation d’une joie quine se départageait jamais totalement d’une certaine innocence et d’une certaine cruauté.

Ainsi le jeu quand il me prend ne s’embarrasse t il pas de me faire retentir ces cris et ces rires, ces ritournelles et ces formules, sésames d’une mémoire qui retrouve toute la libre et joyeuse méchanceté de sa jeunesse.

En un tour de roue, « faites vos jeux, rien ne va plus ! », le temps Ouroboros, bourru jusqu’aux os, s’entremêle et se démêle, se mord et se remord jusqu’à la plaie non encore cicatrisée d’un temps où, sans le savoir, je me forgeais les beaux bibelots de ma future nostalgie.

Comptines et danses, fausse innocence brinquebalée en fragile équilibre sur un pied, mon Petit Poucet de caillou devant moi, je foulais ogres et horizons à vouloir aller talonner le ciel. Et puisque toute histoire se forge sa mythologie, la mienne se mire à la margelle des marelles. C’est là, dans le court répit de deux sonneries, que se sont joués et rejoués les actes de ce qui allait se poser comme les pièces éparses de ma propre représentation : violence et cadence, glissade de la craie, puis de l’encre, dans la spirale du jeu, dérives et soubresauts, au gré des rues, au petit bonheur des pierres et de leurs caprices, jusqu’à cette magique invocation, si déterminante, de l’Unijambiste légendaire, pivot et bascule de mon propre déséquilibre.

Si, à en croire les ethnologues, le jeu enfantin est un « outil de modélisation sociale », alors l’innocente marelle est revenue effrontément mettre son pied dans ce qui aurait pu être la surface trop tranquille d’une mare aux canards, et qui aujourd’hui me pèse parfois comme un bourbier, ma vie d’adulte.

Avec elle, j’en ai une fois pour toutes fini avec la perception d’une vie linéaire, d’un temps longiligne, d’un but ou d’une quelconque destinée. C’est à une véritable mise à plat de toute métaphysique que l’élémentaire schéma griffonné sur le bitume s’est livré. D’un même jet de pierre, j’ai découvert l’imbécile trompe l’oeil de la destination ce ciel de pacotille, vaguement patiné à la craie et duquel il fallait redescendre vers une terre guère plus tangible , et le plaisir obstiné d’un parcours qui se soutenait en un équilibre têtu et fragile.

Etonnant raccourci où se croisaient sur un même plan les enjeux du ciel et de l’enfer, dans l’éphémère salutaire d’un dessin qui s’effaçait à la première averse.
Aujourd’hui encore, clopinant, je pose les ricochets de ma pierre, et si je piétine, c’est pour de vivre, c’est pour de rire, la cloche n’a pas sonné,
et Sisyphe n’a qu’à bien se tenir

Bertrand Schmitt


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es jeux, même les plus hermétiques doivent être associés aux idées les plus efficientes de transformation de la vie. En tant que moyen de connaissance, le jeu doit avoir pour fonction de libérer les participants de toute inhibition et de permettre une communication ludique. L’exploration doit être une entreprise collective dégageant l’inconnu et le merveilleux propre à chacun des participants, surmontant les modes réductionnistes de la pensée et de la vie, dégageant la réalité de sa portée mythique, le joueur doit s’en trouver changé.

Dans leurs meilleurs moments, les jeux m’enseignent comment lutter contre les tendances apparemment égocentriques des participants. Les jeux collectifs tendent à brouiller les distinctions entre les actes créateurs individuels et offrent comme résultante une expression plus libre. Le jeu me fascine quand je vois comment un acte créateur personnel, clos sur lui même, s’ouvre pour s’associer aux autres contributions. En ce sens, la question peut être étendue aux échanges complexes entre les individus du groupe de Leeds et nos associés. Dans un jeu récent (le jeu de la Légère Perturbation), j’ai trouvé que mon interaction avec les autres, avec les objets et avec des lieux de la ville de Leeds m’a relativement aidé à surmonter certains tendances inhibitrices personnelles quant à l’emploi de l’imagination. Ainsi, ce que je considère comme des tabous sociaux est soumis par l’usage du jeu à une confrontation dans la conscience individuelle. Comme dans l’échange alchimique, l’individu volatil se fixe par le jeu et les significations apparemment concrètes de la réalité acquises par le conditionnement social deviennent volatiles et sujettes à
transformation.

Stephen Clark


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armi les moments de ma vie quotidienne les plus banals, je ne puis connaître ou reconnaître que ceux où mes désirs, latents ou présents, affleurent à la rétine de mes cinq sens, ne perdant aucune occasion d’être mis en jeu et trouver leurs voies propres.

Si je vis, c’est dans leur vocation à cette perception plus ou moins directe et réciproque, comme entre deux inconscients, par laquelle s’éprouve à travers le flux extérieur bariolé, l’état amoureux.

Secrètes à soi même, puis surprises de se reconnaître, l’émotion ou la joie dégagées par l’éventuel écho transposent tout acte en invention d’un jeu sans règles, avant que le conformisme ambiant ne réduise ces créations le plus souvent fugitives.

A la recherche des mêmes révélations, nos jeux surréalistes se définissent tous en règles visant à subvertir les voies désenchantées de l’échange social.
Exercices de libertés qui ne sont conquises qu’individuellement, ils ne deviennent véritablement collectifs que par les rebondissements spontanés qui surviennent entre joueurs, et le partage de l’inattendu.

L’érotisme n’y est sévère, le plaisir sérieux, l’amour fou que, par delà le rire, pour mieux s’investir en orgasmes de l’esprit qui se sublime et prend corps.

Michel Zimbacca


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on rapport au jeu est semblable à une réconciliation après une longue séparation. Nous sommes de vieux amis qui viennent de se retrouver. Nous étions partis en dépit de l’accord selon lequel le jeu était essentiel au développement de l’enfant, à l’acquisition de la connaissance et à la réalisation du désir, à la construction comme à la refonte du monde. En tant qu’expérience, le jeu devient une fois de plus central pour maintenir l’état d’étonnement par lequel la Merveille peut se manifester. Je suis uni à nouveau avec un camarade, avec un professeur du fin fond du passé.

Sérieux. Parfois trop sérieux pour saisir l’humour inhérent à ce que le jeu peut révéler. Souvent sérieux parce que c’est dans la nature du jeu, mais plus souvent parce que ma propre nature est d’être sérieux. Circonspect. Parfois cette circonspection résulte de l’inhibition, mais comme un compagnon de vigilance il est souvent précurseur de la perspicacité.

Bill Howe


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e qui m’importe dans le jeu, c’est la participation à une activité collective dans des conditions égalitaires. Ces jeux là sont sans compétitions, et les meilleurs sont ceux dans lesquels les tâches et les rôles sont distribués de façon égale, où le jeu est tel que chacun ait son tour et permette à chacun de créer des objets, des images ou des textes à partager également entre les joueurs. Je pense que les règles, acceptées mutuellement, forment aussi une part de l’aventure. Selon mon expérience, les règles ne gênent ni le développement spontané du jeu ni les interprétations individuelles qui étaient prévues dès le début. Mais surtout c’est l’action même de jouer qui pour moi est importante, ainsi que de communiquer et comparer les expériences subjectives. Bien que je sois souvent mécontente du résultat final qui ne peut pas représenter tout à fait mon expérience subjective, je pense qu’il est vital pour nous de faire place à de telles activités collectives, puisque le capitalisme mine de plus en plus les contacts humains en les réduisant aux nécessités du travail et de la consommation.

Comme joueuse, j’ai surtout confiance en ma participation pratique aux moments concrets des jeux, mais je suis souvent incertaine ou embarrassée par mes résultats quand je les trouve à court d’inspiration poétique. Pour moi, le jeu n’est pas toujours une expérience agréable ; je suis mal à l’aise quand je m’y examine, mais j’essaie d’être honnête devant mes faiblesses. Dans les jeux auxquels j’ai participé, j’ai eu tendance à ne pas m’harmoniser avec les autres joueurs ou j’ai eu l’impression de participer à un niveau de moindre intensité. Cependant, je ne les évalue pas selon ma participation personnelle, mais en fonction de leur cohérence collective et de la connaissance disséminée dans la totalité des contributions.

Sarah Metcalf


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e but du jeu surréaliste pourrait être de créer un « objet » insolite, éclos dans un monde imaginaire. A mon avis, il n’est peut être pas si important que l’objet soit définitivement fini à la fin du jeu si le processus de création a fonctionné c’est à dire si les participants l’ont ressenti pour eux mêmes ou pour les autres.

L’objet quel qu’il soit est d’autant plus étrange et réel (ou surréel) qu’il est la création d’un groupe, échappe à une signature particulière ou à une approbation sans être le produit d’une « âme collective ». Le jeu surréaliste existe si un lien particulier, ténu et subtil, s’établit entre les participants. La règle voudrait qu’on échappe aux échanges de paroles habituels ou aux emprises affectives ; pas de tactique rien à gagner, tout à perdre jeu bien compris par ceux qui cherchent plutôt la rareté que la prolixité ou le pouvoir, et laissent aux autres leur part d’expression.

Ainsi, il m’a semblé que chaque information tombe bien au centre du « cercle » des joueurs, chacun s’appropriant l’objet en y ajoutant dans la plus grande liberté possible ? la pièce de son choix. La spontanéité n’est pas obligatoire, mais s’y essayer peut être plus satisfaisant que le contraire.

Marianne Guichaoua


Ecrire sur les jeux ?

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l est possible que je passe ma vie à jouer, avec les enfants avec lesquels je travaille, je joue. Dans la vie, je joue, je ne peux vivre qu’en jouant.

L’idée d’un jeu organisé comme les jeux de société m’exaspère. Je n’ y ai jamais participé. Ce seraient des jeux pour « grandes personnes ». Quand l’idée d’un jeu est lancée, si on se réunit pour ça, ma première réaction est défensive. Je n’ai pas envie de venir. Une fois le jeu commencé, c’est bien, je me laisse emporter.

Ceux que j’ai préférés sont ceux qui se sont proposés spontanément pendant les réunions. Là, je me réveillais de ma torpeur. Le jeu préféré : la dérive, ce que j’aime le plus faire au monde et, là, reliée aux autres, je passerais ma vie à dériver. Ce qui m’intéresse dans le jeu : la surprise de ce que je m’entends dire ou faire, ce qui vient en réponse ou spontanément chez les autres. Les objets, les lieux, les êtres en sortent transformés, animés d’une sorte de magie, de légèreté.

C’est la magie, cette étincelle qui m’intéresse, et le jeu est un moyen de la retrouver. Ce n’est qu’un moyen.

Anny Bonnin


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ouer, à condition de s’y livrer sans réserve, c’est retrouver une sorte d’innocence oubliée, c’est s’offrir un plaisir frappé d’interdit par les tenants du raisonnable, c’est ouvrir la plus simple des portes et s’approprier un pouvoir créateur.

Il y a jeu et jeu. Gagner ou perdre, capitaliser des points, là n’est pas le propos. Ce qui est voulu, c’est susciter une disponibilité mentale, un état de l’esprit propice à la découverte d’un inattendu poétique, c’est engendrer du nouveau, du merveilleux, collectivement. Activité habituellement solitaire, la « poésie » devient alors une
pratique collective, faite réellement par tous.

Je suis un joueur qui souhaite s’abandonner sans retenue à son occupation, appliqué et impliqué tout entier, tellement grave et concentré qu’il n’entendra plus les appels extérieurs. Je joue en confiance, entre amis ; il ne s’agit pas de faire entrer n’importe qui dans le cercle.

La vie entière pourrait être placée sous un signe ludique ? La vie : l’activité quotidienne et son obligation du travail vivrier, et l’activité artistique tout autant que le
militantisme. Le jeu abolirait ces catégories.

Le temps n’est il pas venu de ne plus attendre, de décréter le jeu activité essentielle et d’adopter comme premier mot d’ordre l’enchantement de la vie

André Bernard


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n jeu collectif entrepris collectivement crée un cercle magique qui permet d’explorer et d’intensifier la communication intersubjective. C’est le principe de plaisir qui règne suprêmement et nous permet d’établir de nouveaux rapports entre nous et le monde. Pour moi, le jeu est ainsi un instrument de connaissance important et puissant. La participation à ces jeux tend à briser les inhibitions et le conditionnement psychosocial, et nous donne un aperçu précieux, aussi éphémère soit il, d’une société libre future. Je pense qu’il est très important que quelques uns de nos jeux se répandent dans les rues et ne soient pas retenus derrière des portes closes.

Je préfère les jeux symétriques où les joueurs ne peuvent savoir ce que sera le prochain coup. Je préfère les jeux aux règles qui se développent organiquement lors de leur processus, devenant aussi complexe qu’un labyrinthe, dans lequel je peux me perdre pour ensuite pouvoir trouver quelque chose. Mais surtout j’aime les jeux à la fin desquels on peut dire, comme le Dodo dans Alice : « Tout le monde a gagné, et il faut que tous aient le prix. » Je prends aux sérieux les jeux auxquels je participe et j’y joue avec l’intimité et l’intensité d’un rêve ou d’un mythe collectif.

Kenneth Cox


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Anne-Marie Guillon

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dossé à l’herbe de mai
corps et âme fondus
poussières
cendre
dans la nuit et le flux de l’histoire
jouet comme joueur par la force
initiale et indéfiniment reprise
de l’ardent pile ou face
dont tout souci s’absente jusqu’à
l’oubli du nom
libre de tout et de moi même

Partout dense au foyer autant
qu’aux lisières.

Pierre Petiot


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elon son axe le plus sérieux, mon sens du jeu tournoie en orbite voilée autour de distances extrêmes comprimées en masse critique.

Le joueur transcende l’habituelle négligence. L’isolement fait naître des hiérarchies d’illusion transparente cruelles et auto destructrices. Le désir nourrit des intimités fausses d’une complexité fractale. Explorations de l’infini conduites en une harmonie faite de tierces pures et d’une quinte diminuée d’une gamme tempérée en neuf dimensions.

Jeux. Solitaires, semblerait il.

Où êtes vous dans le jeu ? A la fin, nous sommes toujours au début. Au début, nous devons rejeter la fin.

Point de milieu l’extrême seul.

Barrett John Erickson


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as un flambeur, je crois (dans la mesure où l’on peut se connaître définitivement, ce dont je doute). Pas un gagneur non plus. Ni même un looser Je joue parce que je m’ennuie, je joue parce que cela fait partie des c oses qui peuvent s’accomplir quelle que soit mon humeur. Je joue avec les autres. Je ne joue en effet pas seul (les casse têtes ne sont pas mon fort, sauf à certains moments les jeux de formes chinois, le tangram). Je joue avec les autres, parce que le jeu peut permettre de vivre des moments inattendus avec eux, avec soi. Les jeux « littéraires » sont mes préférés, avec les jeux d’expérimentations plastiques.

Ce qui m’intéresse en effet par dessus tout, c’est l’expérimentation. Au bout de laquelle je ne cherche pas à construire de théorie, laissant cela à d’autres beaucoup plus doués que moi sur ce terrain (je leur fais simplement un bout de conversation). Expérimenter et jouer sont en effet pour moi quasi synonymes. Je cherche du nouveau en jouant. Cette recherche est pour moi comme un voyage, une randonnée, une dérive qui apportent avec eux leur lot de surprises. Mais du nouveau sur quoi, me direz vous ? Le nouveau peut être relatif à mes désirs enfouis, à des pensées oubliées, à des désirs et des pensées que je ne m’étais jamais connus. Il est relatif aux désirs et aux pensées des autres. Il est dans la découverte ou non de ce qui peut être commun dans ces désirs et ces pensées à moi et aux autres. Le nouveau s’applique aussi à l’expression que j’utilise dans tel ou tel moment du jeu, à une certaine façon pour mon action de se présenter. Un style nouveau. Une trouvaille de langage, par exemple.

J’ai toujours fait des découvertes que j’ai ensuite développées en peignant en solitaire au cours de séances expérimentales collectives de collage ou de peinture. J’aime entretenir un commerce avec mes semblables parce que je trouve que le plus souvent ces échanges me révèlent ce que mon ego me cachait de toute sa grande ombre. Le jeu s’entend en fait pour moi dans un sens plus vaste qu’à l’ordinaire. Le commerce avec les autres hommes, je désire le prendre en réalité pour un jeu perpétuel. De là vient quelquefois que mes conversations contiennent, venant de moi, nombre de propositions qui sont autant de tests, de ballons sondes, d’essais pour voir. Je joue à parler avec les autres, comme le font d’une certaine manière les enfants. J’aimerais peut être que la vie entière ne soit qu’un grand jeu. Regret d’enfant prisonnier de l’âge adulte...

A mes yeux, le jeu n’est donc pas une compétition, en aucun cas. Ceux qui le pratiquent ainsi m’ennuient au plus haut point. Je les regarde avec éloignement. Mais je les comprends comme on comprend les enfants qui cèdent si facilement à leurs impulsions agressives. Il est peut être bon, cela dit, que ces impulsions guerrières puissent être déroutées vers le jeu, comme dans le cas des jeux sportifs. Les jeux de hasard m’ennuient également. Parce qu’il n’y est question que d’argent. Un jeu de hasard poétique serait à inventer, et je lui donnerais en ce cas tous mes suffrages.

Bruno Montpied


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n joueur occasionnel, donc sans expérience. Il y a une vingtaine d’années, avec quelques amis, il m’est certes arrivé de pratiquer les jeux surréalistes les plus connus : le jeu de l’Un dans l’autre, les Questions réponses et bien sûr l’inévitable Cadavre exquis. Même si cette activité n’a jamais représenté pour moi une forme déguisée de « divertissement », et devait s’inscrire de toute façon dans un cadre expérimental plus large par rapport à l’imaginaire et à la sensibilité, l’enjeu alors n’était pas très clair : tout cela restait dissocié d’une autre pratique, liée à la critique sociale, jugée de toute façon prioritaire. A présent, je me sens un joueur trop « novice » pour pouvoir me définir plus précisément.

A priori, je n’attends rien du jeu en tant que tel. Mais je pourrais faire la même réponse par rapport à toute autre activité, individuelle ou sociale, car je n’attends généralement rien de ce qui m’est extérieur, tout en demeurant ouvert à la surprise et disponible à la merveille. En revanche, je retiens du jeu auquel j’ai participé l’impression extrêmement forte d’une désinhibition des facultés créatrices et imaginatives. Dans le cadre du jeu du Fragment qui débouche sur un acte de création individuelle, les données de départ, très peu contraignantes, agissent comme un puissant activateur de la sensibilité, sans doute parce qu’elles traduisent elles mêmes les diverses réactions de plusieurs sensibilités différentes devant un même objet d’aspect énigmatique. Il s’agit là d’un jeu collectif qui a le grand mérite de renforcer les individualités de chacun de ses participants, plutôt que de les effacer dans une oeuvre commune. Et du même coup d’enrichir le paysage sensible de tous.

Joël Gayraud


Les enjeux du jeu

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râce aux jeux collectifs surréalistes les dérives dans Paris, les dessins ou textes ludiques, les interfaces poétiques entre l’image et l’écriture , il m’a été donné de faire une des expériences les plus exaltantes et intenses de libération. Libération par rapport au pesant ennui du monde désenchanté, par rapport à l’étouffant esprit de sérieux, par rapport à l’infâme éthique bourgeoise du travail. Le jeu m’a permis de retrouver, pendant quelques instants magiques (aussi exquis que le cadavre en question) le plaisir de l’acte libre et gratuit, tel que le pratiquent les enfants et les « primitifs », c’est à dire les êtres humains non encore corrompus par la syphilisation.
En jouant avec mes amis surréalistes, j’ai pu éprouver un petit avant goût utopique de la joie réservée aux humains par les harmonies fouriéristes ou par les fermentations subversives du jardin des Délices hiéronymusboschien.

Michael Löwy