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De ce qui advint après 1969

LE SURREALISME ET LE TEMPS

Avant-propos
samedi 14 décembre 1991.
 

Quelques renseignements sur le Groupe de Paris du Mouvement Surréaliste.

On m’a demandé si notre Groupe était nouveau. La réponse est simple : notre groupe a été fondé par André Breton en 1924 et il n’a jamais cessé ses activités depuis...

D’innombrables médecins légistes, historiens, littérateurs et autres croque-morts ont dressé notre acte de décès et délivré le permis d’inhumer. Néanmoins ce cadavre exquis continue à bouger, et à distribuer généreusement des coups de pied et des coups de poing. Bref, il refuse obstinément le confort douillet du caveau familial.

Il est vrai qu’en 1969 un certain nombre de membres éminents du Groupe, autour de Jean Schuster, ont proclamé sa dissolution. Néanmoins, cet oukase n’a pas été accepté par beaucoup d’autres surréalistes, aussi bien à Paris qu’à Prague. Dans un texte d’octobre 1969, Rien ou quoi ? Vincent Bounoure exprimait le point de vue de ceux qui refusaient de mettre fin à l’aventure surréaliste :

Quelle est la portée d’un décret universel qui néglige le fait tchécoslovaque, d’un jugement aux attendus intemporels que le temps va s’empresser de démentir et d’oublier, pourvu que des surréalistes refusent de se désister de leur volonté politique et de leur souci d’intervenir ? Il ajoute : Faut il croire, comme on me le confie, que le talisman est brisé ? Je suis très intéressé à ce qu’il n’en soit rien. Très certain qu’il appartient à nous seuls d’en recomposer les signes, à supposer qu’ils aient été un moment épars.

Quelques années plus tard, les surréalistes de Paris et de Prague vont souffler ensemble sur les braises : ce sera le livre La Civilisation surréaliste, publié par Payot en 1976. Organisé par Vincent Bounoure, il comptera avec la collaboration de René Alleau, Jean Louis Bédouin, Bernard Caburet, Vratislav Effenberger, Robert Guyon, Robert Lebel, Jean Markale, Roger Renaud, Martin Stejskal et Jan Švankmajer. Face à la « civilisation excrémentielle » dans laquelle nous vivons, le surréalisme se dresse comme aspiration radicale à une autre civilisation, « prêt à surgir, à travers les lents cheminements historiques, des galeries de la "vieille taupe" » (Effenberger, p.329), comme mouvement de rébellion absolue qui ne vise à rien moins qu’à la subversion des conditions psychosociales de l’existence humaine en vue de mettre un terme aux effets dévastateurs du conflit entre principe de plaisir et principe de réalité. (Bounoure et Effenberger,p.26).

Au cours des années 1970, le Bulletin de Liaison Surréaliste assure le renouveau de la réflexion. Distribué d’abord dans un cercle limité, il sera publié plus tard par les éditions Savelli, ainsi que deux numéros de la revue Surréalisme. Pendant ce temps là une activité surréaliste importante se développe dans la clandestinité à Prague et à Buenos Aires, sous la barbe grise des bureaucrates et la botte jaune des dictateurs militaires. Un groupe existe aussi à Chicago et d’autres apparaissent bientôt à Stockholm et à Madrid. Plus récemment, le groupe de Paris publie deux tracts contre la guerre du Golfe, largement distribués dans les manifestations de rue et publiés dans certaines revues. Enfin, en 1991, paraît le premier numéro du Bulletin Surréaliste International.
Bref, l’internationale surréaliste existe, elle ne reconnaît pas de frontières : sa patrie est l’esprit sauvage, son drapeau la révolte permanente, son blason l’écart absolu.

Quelle est la place du surréalisme dans le temps ? On peut dater le surréalisme du jour où le premier être humain a posé ses mains sales sur les parois de la caverne, en laissant son empreinte sur la pierre. Depuis, il n’a jamais cessé de hanter les nuits et les jours de la tribu.

Nous sommes anciens, mais nous sommes de notre temps : le temps cosmique, le temps érotique et le temps poétique. Parfois aussi le temps psychotique. Ce n’est pas le temps des horloges de gare de chemin de fer, ni celui des calendriers patriotiques. Encore moins celui des chronomètres des courses sportives. Nous sommes à la recherche d’une conception qualitative du temps, irréductible à la succession mécanique et linéaire, vide et quantitative des secondes.

À vrai dire, nous sommes de notre temps à contretemps. Nous savons que nous sommes anachroniques, et c’est cela qui nous permet de durer si longtemps.

Nous sommes de notre temps, de temps en temps seulement : chaque fois que l’incendie brûle les Tuileries, chaque fois que la chienlit repousse sur les trottoirs, chaque fois que l’esprit sort du cachot (comme le dit une vieille chansonnette un peu oubliée par les temps qui passent).