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Affaire Déclassée

lundi 22 novembre 1982.
 
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Emmanuel Fenet - "Source la sorcière est l’oeil du loup" 1992

Nous avons pris connaissance, dans la stupeur, de la supplique adressée au président de la république par la troïka Schuster, Pierre et Silbermann dans le but d’implorer la mise à disposition d’un « cadre institutionnel » où déposer les archives surréalistes menacées de dispersion. Un certain nombre de personnalités triées sur le volet de la notoriété sont sollicitées de se laisser racoler pour appuyer cet appel. On notera au passage comment les trois compères se sont rendu maîtres dans l’art (car l’appropriation a une forme précise) de dénier à quiconque le droit de parler au nom du surréalisme aujourd’hui pour mieux s’arroger celui de le parasiter et de le diluer. Pour reprendre leur brillante formule, « le surréalisme c’est » tout sauf cette savante énumération de concepts précuits et prédigérés, tout sauf cette pitoyable démarche.

Mais ce que dissimule mal cette lettre, c’est le sordide « donnant-donnant » qui en sous-tend le contenu. Non contents d’avoir tenté d’opérer un renversement de perspective en transformant le surréalisme de l’état de sujet actif de l’histoire à celui, opposé, d’objet d’études pour historiens d’art et historiens des idées, nos trois imposteurs (qui savent toujours se servir les premiers) comptent bien avec la nationalisation de leur entreprise en perdition -ACTUAL- être maintenus à la tête de leur investissement immobilier et étatique.

Calcul cynique ! Il va sans dire que l’objectif de cette basse besogne consiste à faire entrer le surréalisme - mais ce n’est qu’une de ses ombres - dans la bergerie de la culture. Hier, l’exposition André Breton (« La beauté sera cadavérique ou ne sera pas »), aujourd’hui le « lieu » (sans génie aucun) avec pour gardiens-larbins les trois parques issues du sérail ; demain l’exposition Benjamin Péret avec - dans la lancée - justification théologique de son « anticléricalisme primaire ».

Le surréalisme, tout de rayonnement et d’explosion, ne saurait être « conservé » sous la somme glorifiée et immortalisée de ses oeuvres passées, si considérables soient-elles au noir de son propre regard.

Patrimoine... Bien que le mot ne soit pas prononcé, c’est pourtant à cette sinistre notion que les trois répugnants vieillards, quémandeurs de félicité institutionnelle afin de trouver hospice à leur mesure, se réfèrent implicitement. A leur volonté de centralisation, de rétention, de réification, nous répondons : dispersez les documents surréalistes, jetez-les par la fenêtre en as de carreau, semez-les sous les sabots des chevaux (voyez comme nous sommes anciens), dans les cours des écoles maternelles (voyez comme nous sommes jeunes), et surtout arrachez-les à la capitalisation et aux espoirs de plus-values que caressent à leur égard ceux qui spéculent sur l’imaginaire. Nous proposons par conséquent que toutes mesures soient prises dès maintenant afin que les taxidermistes puissent venir examiner ces messieurs et plus généralement tous ceux qui portent vers eux une tiède interrogation sur le sens de leur décomposition (de gauche à droite, de haut en bas, du plexus cervical très atteint à la gidouille remarquablement préservée).

Concessions pour concessions, il y en a de disponibles dans la 46ème division du cimetière du Père-Lachaise...

le 22 Novembre 1992
Le Groupe de Paris du Mouvement Surréaliste

Jean-Marc Baholet, Luc Barbaro, Jean-Christophe Belotti, Laurent Bergstrasser, Anny Bonin, Thierry Bouche, Thérèse Boujon, Vincent Bounoure, Philippe Clérambault, Aurélien Dauguet, Emmanuel Fenet, Guy Girard, Jean-Pierre Guillon, Michel Lequenne, Michaël Löwy, Marie-Dominique Massoni, Thomas Mordant, Fabrice Pascaud, Alexandre Pierrepont, Ody Saban, Bertrand Schmitt, Jean Terrossian, Marc Thivolet, Daniel Vassaux, Michel Zimbacca.

Et leurs amis : Nicolas Auray, Hervé Delabarre, Jimmy Gladiator, Pascal Goblot, Guy-Claude Marie, Jean-Jacques Méric, Esther Moïsa, Georges-Henri Morin, Frédéric Mullier ...