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Transmutation du langage, S.U.RR. n°4

Accessoires de nuit

mercredi 6 novembre 2002.
 
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etit atelier de fabrique nocturne, chaque nuit apporte son lot de trouvailles et de surprises. Les moindres ne sont pas pour moi ces étranges objets que je vois se profiler, au détour d’un rêve ou durant ces brefs instants suspendus du demi-sommeil. Présentant une très grande précision de formes, ils n’en gardent pas moins leur mystère et, pourtant capable de décrire leur mécanique ou leur fonctionnement avec une exactitude qui ne manque pas d’être curieuse, je reste cependant persuadé que je serais confronté, si je cherchais à en faire usage, à certains accidents imprévus qui ne manqueraient pas de me faire désagréablement sentir toute la vanité qu’il y avait à me croire les maîtriser.

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La Tasse-pipe
Michel Zimbacca

Constructions hybrides, presque immanquablement nées d’un télescopage entre mots et images, ces objets vus en rêve m’apparaissent y avoir été façonnés, et leur confection, tout autant visuelle que verbale, vient rendre compte de l’intime connexion que langage et image entretiennent dans mon inconscient. Ce sont ainsi souvent des jeux de mots, allant du simple glissement sémantique à des assemblages plus complexes, et tenant à la fois du rébus, de la contrepèterie et de l’anagramme, qui semblent avoir présidé à leur fabrication (ils rejoignent en cela le sachet de « thé athée » décrit par Michaël Löwy dans son texte sur La Fabrication des objets immatériels (1).


Persuadé que ces objets ne sont pas de simples figurants de nos aventures nocturnes mais qu’ils détiennent une part du drame qui s’y joue ou s’y déjoue, j’ai voulu demander à d’autres de me confier en dépôt ceux que le sommeil avait bien voulu leur laisser en gage.


Ce n’est pas la mère à boire


Allongé sur un brancard, le corps d’une femme enceinte, taillé dans du verre transparent , les jambes repliées, les seins gonflés. À l’intérieur du corps de la femme : un liquide bleu potable (mélange à base de curaçao bleu ?) dans lequel flotte, au milieu de quelques poissons, un baigneur en plastique relié au corps de la femme par un cordon. Sur le cordon on peut lire : « Cordon ombilical » sur le baigneur : « Corps bon, il cale l’onde ».


Pointant des deux seins, deux tétines-chalumeaux qui permettent d’absorber le liquide. Sur le sein gauche on peut lire : « Prendre les eaux », sur le sein droit : « Perdre les os ». Circulant sur son brancard, parmi les personnes présentes, cette femme aquatique sert l’apéritif lors des vernissages... à chacun son tour de téter.


Roc-in-chair (ou le repos de Sisyphe)


Un fauteuil à bascule, faisant monter et descendre, lorsqu’il se balance (grâce à un système de poulies et de contrepoids), un rocher attaché au bout d’une corde. La longueur du câble qui retient le roc est calculée pour que la pierre vienne frôler la personne assise dans le fauteuil sans jamais l’écraser. Sous le rocher on peut lire, à condition de s’asseoir dans le fauteuil : « Péril : il perd, elle pire. »


Le temps t’accule


Une grande horloge à balancier. Sortant des deux flancs de l’horloge, de longs tentacules faits d’une succession de montres dont les bracelets en cuir sont cousus les uns aux autres. Prisonnier entre les tentacules, un mannequin, Laocoon des temps modernes, en costume trois-pièces, attaché-case à la main.


Les montres, ainsi que l’horloge, sont en état de marche, chacune indiquant une heure différente. Sur le cadran de l’horloge, on peut lire : « L’heure sonne l’aune sœur ». Sur le balancier de l’horloge : « Le sang t’égrène. Le temps c’est aigre haine ». Sur le haut de l’horloge : « La tactique du tic-tac : une fine attaque fanatique  ».


Caisse à dire, mot-valise


Une caisse, genre malle de voyage, entièrement recouverte de mots (coupures de journaux collées les unes à côtés des autres, jusqu’à en devenir illisibles. Sur ce magma verbal, quelques inscriptions se détachent.


En haut : « Caisse à dire  », en bas : « Qu’est-ce à dire ? »


Sur le côté gauche : « La malle aux mots, l’âme halle aux maux, ô l’homme a mal  ».


Sur le côté droit : « L’âme vile ose, le mot-valise vole la mise ».


Attachée à une poignée, une clé. L’embout de la clé forme le mot « MOT ».


Sur la clé, une étiquette, on peut lire sur une face : « Mot clé  » et, sur l’autre face : « Mais clos ».


Quand on ouvre la malle, on découvre l’intérieur du couvercle tapissé de bouches ouvertes dans différentes positions. Sous chacune des positions est inscrit un son en signes phonétiques. Entre les bouches on peut lire l’inscription : « Parole = or pâle, oh ! râle pas !  »


Les parois intérieures et le fond de la malle sont hérissés de mains en plastique effectuant différentes positions du langage des signes. Entre les mains se lit l’inscription : « Langage des signes : le lent singe dégage des linges sans gages  ».

(1) Michaël Löwy, S.U.RR... n°2 pp.34-35