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Le groupe de Paris du Mouvement Surréaliste

A la mémoire des cadavres futurs

1990.
 

octobre 1990

Nous, arabes de la rue, ou français du même nom, bengalis ou philippins de KoweïtCity, égyptiens, irakiens ou coréens de Bagdad, palestiniens spoliés puis opprimés, producteurs et consommateurs de pétrole et du reste, actionnaires en fournitures d’armes par procuration à nos ministres des finances, travailleurs de peine, chômeurs de joie et esclaves de machines prétendues anonymes,

constatons que les frontières et nationalités ne contiennent et ne protègent plus que les biens de ce monde, ou ne règlent leur circulation qu’en assurant l’étanchéïté des niveaux de vie, nous divisant en voleurs hiérarchisés.

A ceux d’entre nous qui cherchent tout en même temps leur identité et celle de leur communauté, espérant lui acquérir une autonomie illusoire, nous rappelons que, pour la plupart, nous ne souffrons que des cadres qui nous furent imposés par quelque empire repris et transformé par les temps.

Alors qu’un seul système économique est aujourd’hui en passe de prévaloir sur le génie de tout peuple et sur les capacités véritables des individus, enserrant tout le globe, imposant les modes de vie que sa technicité implique, se substituant lentement aux pouvoirs représentatifs aussi bien qu’autoritaires, le droit dit international ne peut servir de caution morale à ceux qui ne savent plus ce qu’ils dirigent.

Notre bien et notre sécurité ne pourraient s’assurer que sur la base de notre condition la plus répandue, Elle seule mérite le titre d’universelle face à ce système économique qui ne se sent plus de triomphe aveugle et de sinistre appétit,

La guerre est là.

Son prologue théâtral installe la peur, source de sa logique, hypnotique nécessaire à la liberté de son action de mort, que l’on prétend pouvoir maîtriser en coulisse, fort de quarante ans de guerre froide et du succès tout frais sur les pratiques économiques de l’empire adverse récemment converti,

L’ellipse est faite des espoirs doublement, triplement trahis, d’une révolution de plus, et de la misère de l’esprit qui en résulte,

En l’absence de tout espoir affirmé, et d’alternative claire à portée de main, qui caractérise les dernières décennies, cette misère est contagieuse,

N’a-t-il pas fallu plus d’un mois à la grande presse française, par exemple, pour laisser filtrer au compte gouttes quelques éléments de l’information nécessaire à l’éclairage de la situation en ses causes réelles et à un début de compréhension de « l’autre monde » ?

Mais nous sommes au théâtre et l’on ne commente que les acteurs, leurs commentaires, leurs apartés, habitués d’une culture qui ne cultive et n’assimile que l’illusion,

La plus belle, dans l’urgence et le jeu des dernières prospectives qu’ont pu se donner les gouvernants américains quelques peu déstabilisés, a pu énivrer de lyrisme gâteux l’esprit du plus puissant golfeur international, en lui inspirant ce nouvel ordre de lui-même, pacifié et vivifié, prêt enfin à délivrer toutes ses promesses ... » dès qu’on en aura fini avec le mal »,

Serait-il venu à l’idée de ce sportif, ou à celle d’un de ses équipiers, de se pencher sur ce dernier-né des satans, de tous le plus petit, qui, qu’on le veuille ou non, symbolise très momentanément et illusoirement, mais nous y sommes, l’humiliation subie par une grande civilisation, depuis près d’un siècle au compte de l’Occident, et de s’adresser à lui avec le minimum de décence que devrait inspirer la hideur de l’état général du monde,

Si ce dictateur, longtemps chéri de ses nouveaux ennemis dans sa terreur, ses massacres, ses guerres, n’avait de surcroît retenu en otages les civils occidentaux, des civils arabes auraient d’ores et déjà, et une fois de plus, été écrasés en masse, sous les tapis de bombes, au besoin nucléaires, et satisfait le réalisme des financiers : leur obsession du contrôle du pétrole, Au travers de leurs relais politiques, ils rêvent de donner aux peuples du tiers monde, qui paient déjà le plus gros du poids de misères de la crise économique, fournissent exclusivement ses champs de bataille, et pour couper à toute ébullition prévisible, une sévère leçon préventive.

A l’heure ou toute idéologie, dévoyée ou non, passe pour suspecte, ou rabaissée au niveau de variante sur le thème démenti du progrès, où l’on ne peut que constater l’absence de toute action concertée des intellectuels ; à l’heure où les spiritualismes, dans leur regain actuel, ici rabâchent leur éternel laisser faire, tout en maintenant la division intérieure de ce qui se veut à l’image de Dieu, là-bas mobilisent et s’affrontent à travers nos chairs pour leur mutuelle négation ; à l’heure où toutes les révoltes violentes et organisées dégénèrent en guerres particulières, il n’est pas possible de croire en l’éventualité prochaine d’une révolution et d’en soutenir la fiction.

Le premier devoir de l’homme est de se tenir debout, proclame le jeune Hegel. Dans quelle posture se retrouvent ceux qui disposent aujourd’hui de l’information, des moyens sensibles, intellectuels ou moraux et omettent de s’inscrire contre la sottise, la folie, les menaces de la guerre impérialiste ?

Combien d’intellectuels naguère toujours prêts à baliser les événements, acquiescent ou se tiennent pour l’heure au silence, démissionnant au bénéfice du calcul et de « l’habileté » politique ?

Que valent nos systèmes de pensée face à ces constellations de plaies vivantes qui parsèment la planète ? Ce que l’on prête à nos systèmes de sentiments ?

Que faisons-nous de notre peur, de notre amour, de notre courage, de notre lâcheté ?

Nous, qui fûment mexicains, allemands, français, chiliens, belges, égyptiens, tchèques, espagnols, juifs-nègres c’est très possible , arméniens, grecs, anglais, roumains, japonais... nous en appelons au sens de tout ce qui se révolte, manifestement ou dans le secret confus des êtres, afin que se révèle aux yeux de tous le mensonge organisé qui perpétue de siècle en siècle l’appropriation et la confiscation de tout ce que l’homme a été capable de se donner,

Nous qui pouvons aujourd’hui parler depuis Prague, Buenos-Aires, Chicago, Stockholm et Paris, et continuons d’affirmer que l’interne et l’externe ne font qu’un, que le monde est nous, que « Je » est le monde et travaillons à leur plus complète et transparente communication, nous en appelons à tout ce qui peut accroître une conscience claire du danger réel qui pèse sur nos vies, dans ce qu’il a de permanent comme dans ce qu’il a et aura d’actuel.

Nous en appelons à tout ce qui, par-delà pessimisme ou optimisme, participe d’un mouvement du refus et porte un espoir latent. Nous nous adressons à tous ceux qui, sans nom propre reconnu, mais accrochés à des réalités tangibles, se savent dispersés, ou délibérément isolés par l’horreur de l’expérience vécue, ou qui travaillent en profondeur mais sur des champs d’investigations parcellisés, pour que se créent tous réseaux de communication extensifs sans lesquels toute vue d’ensemble n’est accessible qu’à de trop rares consciences, et toute prise de conscience vouée à se refermer sur ellemême.

Nous en appelons à la création et à l’organisation d’un regard nu, nécessaire à la sauvegarde et à l’intelligence du vivant, au présent.

Constater tout à la fois le mouvement des faits et celui de la pensée, rend au premier sa pleine valeur de référence, concourant à dégager la signification pour tous de ce qui, dans l’état des choses, ne se présente que partiellement, c’est-à-dire partialement, à l’exemple des victimes dont le sort et les malheurs consommés ou en puissance, de la torture à la faim, de la prise d’otages au blocus des vivres et des médicaments, ne sont opposables que dans l’esprit de l’internationale des agresseurs, bourreaux et tortionnaires.

Nous en appelons à la constitution d’une universelle de l’évidence, qui permette à chaque révolte, à chaque refus, à chaque sentiment du scandale permanent qui avilit le magnifique animal social que nous pourrions être, à chaque élan vital de se situer dans cette époque face à l’inconscience et à l’antique théâtralité du fatal logistique qui est la référence commune de tous nos acteurs nationaux, pour entraîner dans le coeur de l’homme tout ce qui exige une complète refondation du monde.

D’un regard renouvelable, d’une conscience de la vie prise dans son ensemble, l’action surgira d’elle-même, avant que, pour choisir ses catastrophes à l’horizon, le hasard n’ait plus que l’embarras du choix.

Le groupe de Paris du Mouvement Surréaliste,

Nicolas Auray, Luc Barbaro, Anny Bonnin, Vincent Bounoure, Aurélien Dauguet, Emmanuel Fenet, Pascal Goblot, Michel Lequenne, Michael Lôwy, Thomas Mordant, Frédéric Muller, Alexandre Pierrepont, Danielle et Marc Thivolet, Rémi Valentine, Marie Vallet, Florence Vasseur, Benoit Vitse, Michel Zimbacca.

et leurs amis : Robert Lagarde et Jean Terrossian.