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Vincent Bounoure en quelques

Moments du surréalisme

mercredi 23 octobre 2002.
 
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i, en 1968, certaines personnes purent croire l’espace d’un printemps qu’ils avaient parfois atteint ce « point de l’esprit » évoqué par Breton, l’involution depuis n’a cessé ses ravages. Pourtant le feu secret brasillant ici ou là, la nuit, le jour n’a pas été totalement étouffé par la certitude de ceux qui font comme si son chant s’était éteint à jamais.


Moments du surréalisme en témoigne. Quelques contrebandiers ont su déjouer les pièges des gardes frontaliers, en deçà et au-delà des monts. Ni héritier, ni père fondateur, Vincent Bounoure est un passeur. Il semble avoir le plus souvent su prendre la mesure des périls aussi bien extérieurs qu’intérieurs, et son absence de complaisance s’applique d’abord à lui, contrairement à cette tendance humaine qui sait si bien trouver les accommodements nécessaires pour ne pas affronter ses petites et grandes lâchetés. Dans la conscience aiguë du « Rien n’est » originel, il déploie la cohérence du négatif et de la seule cohérence qui lui soit opposable, celle de l’impératif catégorique moral, pour que s’entende l’appel à la découverte de territoires qu’abolit la vie telle qu’elle s’accepte. Vincent Bounoure est de la grande horde des insoumis et l’un des bretteurs d’une société secrète, où l’exigence de la hauteur de vue est le moins que l’on puisse attendre de ses révoltés. Feu froid, sa colère est à la mesure de sa fidélité en amitié et de sa conscience planétaire. En témoigne « Au Lazare affolé par le jour ». C’est à partir de cette double et unique exigence du négatif et de la morale qu’il dut finir par accepter un rôle pour lequel il se sentait mal bâti, celui de rassembleur des énergies.


Contrairement à ce qu’affirment les marxistes, il soutient dans les années 1970 que la transformation du monde dépend encore de son interprétation et que l’histoire, ainsi que l’affirmait Breton, tient dans la manifestation concrète des mythes plus que dans les processus économiques ou dans les datations des périodes historiques et des événements. La critique de l’économie n’est pas seule déterminante, les superstructures sont l’un des lieux majeurs des affrontements, rappelle-t-il dans « Charnière surréaliste ». La refonte de l’entendement, objectif majeur du surréalisme depuis ses débuts nécessite de surmonter l’ « idée déprimante du divorce irréparable de l’action et du rêve ». À un Vaneighem alias Dupuis, qui, de manière « désinvolte », avait prétendu « tailler une cotte » au surréalisme, il répond à la hauteur d’exigences dont l’auteur du Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations était à quelques milles.


Il en va de la proximité de certains esprits comme de ces évidences de lumières crépusculaires. Ainsi pour moi de Walter Benjamin et de Vincent Bounoure, des dents aux lèvres de la pensée, dans leurs initiales si proches. Les abîmes du négatif n’ayant d’opposable que l’impératif catégorique moral, à partir duquel seulement l’homme s’éveille, voilà sans doute ce qui me parut très tôt l’étoile au front de ces éveilleurs de lucidité, de ces garnements du désespoir à l’implacable rigueur. J’y songeais en relisant certains textes de Vincent Bounoure, publiés dans Moments du surréalisme, et qui me le restituaient dans la mélancolie d’un « On joue » ? De l’enfant berlinois s’en allant vers l’allégorie, l’angelus novus et le matérialisme historique à l’épée dans la neige comme matrice de plus en plus lutée, dans un mouvement surréaliste je sais combien nous avons besoin de leur vigilance critique, la seule capable d’ouvrir à l’adulte le chemin buissonnier des merveilles. Ces deux-là ne choisirent jamais un chemin parce qu’il fallait bien vivre, c’est-à-dire se soumettre.


Ces Moments du surréalisme nous restituent une force en mouvement, des interrogations fondamentales qui sont encore les nôtres, du « grain à moudre » aurait-il dit, théorie et pratique d’une civilisation surréaliste, passion qui ne peut se concevoir que dès l’instant où l’histoire ne nous mord pas la nuque, et quand l’utopie se pense aussi avec Kant et Hegel. N’y verrait-on qu’une extrême vigilance face aux dangereux pièges des à-peu-près qui sont le lot de nos résistances quotidiennes, dans un monde aux enjeux brouillés à souhait par la domination généralisée du Capital, dépouillée de ses masques humanistes.


« Rien ou quoi ? » Cette question, au-delà du titre de l’enquête que tu proposas, Vincent, en 1969, est toujours nôtre y compris dans ses attendus, ses analyses et au-delà dans sa nudité même.


Moments du surréalisme, L’Harmattan, 1999