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La Croix du Nord

dimanche 5 mars 2006.
 

LA CROIX DU NORD

Je prends un morceau de ce papier cristal dont les fleuristes enveloppaient naguère les bouquets et dont les bibliophiles continuent à couvrir les vieux livres. Je l’applique sur le tracé de la constellation du Cygne tel que Guy nous l’a transmis - à partir d’une tradition qui ne correspond d’ailleurs pas à celle suivie par ma carte du ciel établie par l’IGN - et j’en fais un calque aussi précis que possible. J’ouvre au hasard mon répertoire des rues de Paris par arrondissement, je tombe sur le plan du XIe, je ferme les yeux et applique le calque sur le plan. Je rouvre les yeux et remarque aussitôt que l’étoile qui se trouve à la pointe sud-ouest de la constellation est localisée passage du Cheval Blanc, donnant sur la place de la Bastille. Blanc comme le cygne, n’est-ce pas le signe que ce cheval est posté là, pour m’accompagner durant ce parcours unissant l’astronomique à l’urbain ? Sans bouger le calque, je pointe ensuite sur le plan chacune des étoiles composant la constellation et, comme le réseau des rues est plutôt serré sur la carte, toutes les étoiles trouvent facilement à se placer sur une voie publique ou dans un square et non à l’intérieur d’un pâté de maisons.

Le lendemain dimanche 9 octobre, je sors du métro Bastille à trois heures sonnantes. Ça commence mal : le Passage du Cheval-Blanc est fermé ; il faut connaître le code pour y pénétrer. Je commence à pester contre moi-même et à me dire que nous avons été bien sots de programmer ce parcours un dimanche, car beaucoup de lieux publics, voire d’immeubles privés, accessibles dans la journée les jours de semaine, sont verrouillés le week-end. Vu les horaires de travail ou de loisir des membres du groupe de Paris, nous aurions presque tous pu faire ce parcours le mercredi après-midi, par exemple ; d’autant qu’il ne me paraît ni très important ni très souhaitable que nous le fassions tous dans la même tranche horaire : je pense au malheureux Sacha Vlad qui habite à San Francisco et qui, à cause du décalage horaire est peut-être en train d’arpenter Tortilla Flat en pleine nuit.

Je me dirige vers mon deuxième point stellaire situé impasse Caillard, qui, comme l’indique mon répertoire des rues, commence au 13 rue des Taillandiers, tout près de l’immeuble où Bruno Montpied habita au début des années quatre-vingt. Seconde déconvenue : l’impasse n’existe plus, une résidence de style postmoderne a été construite à sa place. Je commence à me décourager. Je prends la rue de la Roquette, passe le long de la jolie fontaine sur le rebord de laquelle les clochards du coin ont déposé leurs canettes de bière en ce jour ensoleillé, puis m’engage dans la rue Popincourt pour atteindre l’extrémité de la branche nord-ouest, située très précisément un tout petit peu après la rue Sedaine, juste avant le Passage Lisa. À ma grande stupeur, à l’endroit exact où le hasard m’a fait inscrire cette position, au 23 bis de la rue Popincourt, se trouve une boutique appelée 1001 Étoiles. Je visite le passage Lisa, que je ne connaissais pas, et qui se révèle être une impasse s’achevant sur de très belles maisons de bois et un magnifique atelier art nouveau.

Cette visite accomplie, je repars en sens inverse, l’axe nord-ouest sud-est de la constellation suivant les rues Popincourt et Basfroi. Sur mon plan, l’étoile qui marque le croisement avec l’axe sud-ouest nord-est se projette rue Basfroi, à quelques mètres du carrefour avec l’avenue Ledru-Rollin, devant une boutique appelée Élisa : je pense bien sûr à l’inspiratrice d’Arcane 17, mais aussi au passage Lisa évoqué tout à l’heure. Nouvel étonnement : vingt mètres plus loin, à l’angle Basfroi-Ledru-Rollin se trouve un café intitulé : L’Étoile 23. Le chiffre 23, qui ne correspond à rien dans la numérotation des rues avoisinantes, mais ne peut que me rappeler, outre sa singularité de nombre premier, le 23 bis de la position précédente, est inscrit dans une étoile à cinq branches. Je continue à descendre la rue Basfroi vers le sud ; la position suivante ne révèle rien de particulier. Je m’engage ensuite dans la rue Saint-Bernard, longe l’église Ste Marguerite, dans le cimetière de laquelle aurait été enterré le jeune révolutionnaire Louis Capet, mort de phtisie au Temple et dont on connaît les sentiments violemment anti-royalistes, dirigés notamment contre ses propres parents ; je laisse à ma droite la rue Charles Delescluze non sans saluer la mémoire de ce communard exemplaire et me dirige vers le terme de la branche sud-est, situé au second tiers de la rue du Dahomey, en venant de la rue Saint-Bernard. Nouveau choc : à l’endroit précis indiqué sur mon plan se trouve, au numéro 7 de la rue du Dahomey, le bistrot du Vieux Chêne, établissement que je ne m’attends pas à trouver là quoique j’y aie dîné plusieurs fois par le passé, et qui surtout porte un nom à la symbolique alchimique, désignant la matière première de l’œuvre ainsi que la vieille loi annonciatrice du retour de l’âge d’or.

Il ne me reste donc plus qu’à retrouver les positions correspondant aux étoiles formant la dernière branche, nord-est, de la constellation du Cygne. Je suis la rue Faidherbe, puis, répugnant, comme on s’en doute, à m’engager dans la rue Godefroy-Cavaignac, le massacreur des insurgés de juin 1848, je prends celle qui lui est parallèle, la rue Richard-Lenoir. Je passe devant le P’tit bar de la mère Paulo, sans doute le bistrot le plus autentiquement parisien qui survive à cette date, puis longe la librairie ésotérique Les mystères d’Éleusis, qu’il me semble avoir toujours vue fermée. Arrivé Boulevard Voltaire, je prends la rue Mercœur, pour trouver mon avant-dernière position stellaire située au milieu de la rue Auguste Laurent, chimiste. Là, comme pour l’une des positions antérieures, il ne se manifeste rien de significatif. Quelques dizaines de mètres plus loin cependant, rue de la Roquette, au carrefour avec les rues Pétion et Pache, deux révolutionnaires de 1793, je me trouve dans un environnement qui m’est particulièrement cher, tant pour son aura historique liée entre autres aux combats de la Commune que pour des souvenirs plus personnels. À l’entrée de la rue Pache, j’aperçois l’enseigne de L’Oiseau-livre, une autre librairie ésotérique où j’ai parfois découvert des raretés et dont je reçois régulièrement les catalogues. L’avant-dernière position figurant sur mon plan se trouve rue Servan, à l’une des entrées du grand jardin qui a été dessiné sur le site de l’ancienne prison de la Roquette. Quelle n’est pas ma joie de voir exactement placé là un panneau indiquant l’entrée de la Salle Olympe de Gouges, célèbre figure féministe de la révolution française. L’orientation de plus en plus révolutionnaire de ce parcours reçoit ici sa plus belle confirmation. Enfin, je rejoins le dernier point de la constellation du cygne à l’entrée nord du même espace vert, mais dans une partie spécifique qui, je le découvre, a reçu le nom de Square Marcel Rajman, héros juif de la Résistance. Toujours l’étoile, me dis-je, et brillant d’un sixième rai. Après tant de coïncidences, tant d’agencements nécessaires, c’est donc presque sans étonnement qu’en poussant la porte du square, je me retrouve dans la rue Merlin. Je sais gré aux édiles généralement trop zélés en la matière de n’avoir pas inscrit au bas de la plaque la mention : enchanteur.

Joël GAYRAUD, 11 octobre 2005.