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Monter au vent

jeudi 9 mai 1996.
 

Une aurore de mai, oublieuse de la nuit dont elle vient, oublieuse des fracas et des silences d’un monde où l’on voudrait nous faie accroire que la domination généralisée du capital est entendue une fois pour toutes. Virtuellement.


Les fantasmes d’apocalypse sur fond de millénarisme suscitent des cavaliers assassins à l’ignoble bêtise. Mais tous ceux que les états d’Europe voudraient bouter hors de leurs frontières, mais les ratonnés de tous les systèmes, les lapidés de toutes les religions ne sont pas des images de synthèse.


Révolte et salut aux réfractaires sans frontières, à ces compagnons connus ou inconnus, individus isolés ou librement associés, qui font du refus d’abdiquer une nécessité vitale, quand la théorie critique a oublié de faire celle de ses carences et de ses nuisances. Quelques « éclats et pépites » dans les tracts des grèves de décembre en France, dans le tranquille athéisme et les appels de Taslima Nasreen, dans les mots s’envolant des rebozos ou des rubans de couleurs ornementant les passe-montagne des Indiens du Chiapas, dans l’image et la voix de cette belle jeune femme entrevue hier, chantant et dansant un rap, pour le plaisir de quelques amis enamourés sur une sinistre place de Paris.


Révolte au plus impérieux du désir, tu nous jettes dans la rue, tu verses ton encre corrosive contre tout ce qui prétend nous empêcher d’enchanter le monde au nom de la nécessité ; c’est en l’amour que tu puises ta plus claire exigence, la nuit, le jour. Rêveurs sans boussole, nous laissons aux terres de l’imaginaire le loisir d’incendier nos ciels. Les rêveurs, les joueurs que nous sommes connaissent si bien et depuis si longtemps la dictature des idéologies, se formulerait-elle en son dernier avatar, celui de la fin des idéologies. Ils n’ont jamais accepté que l’on enterre au son de dialectales dialectiques les exaltations de ces moments où l’enfance, la poésie, l’amour nous ravissent au corset du peu de réalité.


Nous sommes obstinés et têtus, et notre superbe prend source dans ce qu’il est convenu d’appeler fragilité : notre sensibilité.De plus en plus souvent nos chemins buissonniers croisent ceux d’autres contrebandiers, d’autres hors la loi avec lesquels nous avons en partage le désir de ravager les scepticismes qui justifient tous les renoncements, tous les enfermements. La messe n’est pas dite messieurs les prêtres de toutes les confessions, la révolte ici et là renaissante n’a jamais pu être enfermée dans une quelconque chronique des révolutions de la terre, ou dans de quelconques célébrations officielles des êtres chers à nos cœurs.


Au fil du feu.


C’est peu de dire que le refus de l’étouffement du sensible n’est pas séparable des autres luttes. Depuis quelques temps déjà nous sentions que ce refus des séparations commençait à entrer en résonance avec d’autres. Le débat Imagination et révolte à la CNT en septembre1995, le tract Tarif de nuit, en sa rédaction même comme en ses échos révélèrent que nous avions peut-être raison. Les « alchimistes de la rue Pernelle » ne sont pas tous des surréalistes, mais tous se retrouvent avec de plus en plus de connivences. De la colère partagée au rire ébloui, des polémiques sur des divergences politiques qui ne rompent en rien l’aimantation, mais qui souvent ouvrent des lucarnes insoupçonnées, se distille une eau de vie où le noir est en sa plus rouge efflorescence. En des jours d’équinoxe, à Grenoble nous avons voici peu, entendu affirmer par des libertaires l’absolue nécessité de la poésie dans l’invention du monde. Des compagnons anarchistes transmettaient le feu


A Prague, San Paolo, Madrid, Leeds, Stokholm, Chicago, Brno et ailleurs, des surréalistes ouvrent des horizons dont d’autres avant eux avaient eu parfois l’intuition, mais l’intuition ne suffit pas. S’en satisfaire c’est accepter la pétrification ou le divertissement, d’une fusée mentale à une autre.
Le jeu auquel nous nous abandonnons sans frontières, n’est pas une minauderie, mais découverte et création d’une invisible architecture où se découvrent des territoires dont nous soupçonnions parfois à peine l’existence. Il œuvre à l’unification de l’esprit en ses variances mêmes ; de l’un à l’autre il crée d’éphémères ensembles échappant à l’échange marchand. Ses traces seules pourraient nous ravir, ou la durable aimantation avec des complices que nous brûlons de retrouver. Mais il s’agit aussi de mettre à jour les nécessités de notre psychisme dans ses liaisons, passionnelles de préférence, avec d’autres.


A la fragmentation des esprits que l’on prétend nous imposer nous répondons notamment par le jeu du fragment. La place prépondérante donnée au jeu dans ce numéro est un pied de nez à ceux qui crèvent de suffisance, un pied de biche pour qui voudra, comme nous, lancer son palet dans la marelle des révoltes qui se dessine, à l’écart des échanges marchands à qui sait que l’utopie est ce qui tend à devenir réel.


Force de révolte décuplée.


Rue Pernelle, rue de la cerisaie, à Belleville, à Parishka ou cerninska straha, à Aberdeen grove, à Barcelone, Berlin des réseaux d’aimantation en suscitent d’autres. Dans Le Temps du rêve surréalistes de paris et d’ailleurs manifesteront leurs rages leurs veilles, leurs folies en cavale, il n’y seront point seuls. D’autres voix, d’autres mises en jeu, d’autres mises en joue s’y liront, de ceux dont les investigations nous paraissent essentielles, et qui comme nous refusent la complaisance et le confusionisme.


Vincent Bounoure, Vratislav Effengerger, bien d’autres amis, ne mettent plus le chemin sous leur pied, mais ils sont pour nous plus vivants que les somnambules de cette société spectaculaire dans laquelle tous ceux qui ont voulu liquider le surréalisme font encore quelque carrière. Seuls, quelques uns d’entre nous ont vécu les temps de l’éclatement et les éclats des liquidateurs, les autres savent le drame, mais n’en ont pas été meurtris. Ils se contentent de saluer de très près, de très loin quelques êtres qui, avec obstination, maintiennent leur cap, serait-ce en navigateurs solitaires.


Montons au vent et non à toutes les forteresses vides d’un monde de miroirs spéculatifs, rongé par le narcissisme et le boursicotage.


Du désir souffle l’air de la révolte,


Veiller, éveiller,


Nous importent la rigueur d’esprit, la vigilance, les rencontres à l’initiale, la subversion de toute domination, l’obstination à donner leur envol à toutes les facultés psychiques de l’homme. Nous ne sommes encore qu’au seuil du jardin.