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Lettre de Cesare Battisti

Chers Amis,
samedi 6 mars 2004.
 

Il va de soi que je me dois de vous remercier du soutien immédiat, efficace et inlassable que vous avez manifesté et fait valoir en ma faveur. Vraiment je ne m’attendais pas, et je le dis sans point d’hypocrisie, une telle force positive autour de moi. Elle m’a fait du bien, beaucoup de bien ; et je n’oublierai pas, soyez-en sûrs…

Cela dit, je voudrais revenir schématiquement sur mon " affaire " ; vous faire part, si vous le voulez bien, de mon point de vue. Car les flash des médias, chacun focalisant son propre rangement par rapport à mon passé et futur, ont, comment dirais-je ? , estompé, et estompent, ma "pensée" sur la question qui me concerne. Laquelle, de par moi, concerne directement tous mes camarades exilés en France, du coup soumis à ce même risque que j’encours.

Moi et les autres ressortissants italiens des " années de plomb ", nous nous sommes installés dans l’Hexagone suite à l’accueil que la France nous a expressément octroyé. Il s’agit-là de la fameuse " parole donnée " ; d’une parole qui, prononcée et engageant l’Etat, se doit d’être tenue. Car la parole d’Etat n’est pas un serment d’ivrogne, n’est-ce pas ?
Maintenant, vingt ans après, on prétend la renier. Maintenant, après nous avoir muni de titre de séjour et nous avoir poussé à refaire notre vie, à créer des familles, quelqu’un prétend changer soudainement de cap, nous envoyer aux geôles d’un Pays qui désormais n’est plus le nôtre. Non, cela est inadmissible, dépourvu de toute légitimité. Moi et mes camarades, nous refusons avec la plus grande fermeté ce revirement, ces mauvais agissements. Nous considérant en droit, un droit élargi par l’Etat français et consolidé de par le temps, de continuer à vivre librement en France.
De plus, la " parole donnée " à été prononcée en pleine connaissance de nos militantisme et situation judiciaire italienne, le premier étant reconnu à caractère politique, la seconde refusée puisque viciée par les lois d’exception. L’Etat français savait bien qui nous étions, et qu’il ouvrait ses portes à des fuyards condamnés. C’est du pur mensonge faire semblant de découvrir aujourd’hui ce que tout le monde savait bien il y a presque un quart de siècle. Qui plus est, prétendant aujourd’hui nous extraire du contexte social et politique qui était le nôtre, essayant de nous traiter en guise de criminels odieux
C’est pourquoi le soutien qui s’est fixé autour de moi doit ne pas s’affaiblir, et dépasser ma seule personne pour se centrer sur les " mots d’ordre " : maintien de la parole donné par rapport à tout un chacun des anciens militants italiens ; nulle extradition à leur encontre ; droit pour eux tous de demeurer sur le sol français.
Quant à mon cas d’espèce, je veux tout spécialement rappeler que la procédure d’extradition dont je fais actuellement objet ne fait que reproduire, sur la base présumée de nouveaux titres pénaux, celle qui m’avait déjà touché en 1991. En fait, titre divers ou pas, les faits contestés restent exactement les mêmes. Et sur ces faits la justice française s’est déjà prononcée, statuant formellement un " non " définitif à mon extradition. Cette nouvelle procédure est donc née sous le signe de l’iniquité, car elle constitue une entorse à cette règle juridique qui établit que personne ne peut passer par-devant une juridiction deux fois pour les mêmes infractions. De surcroît, prétendre le faire presque treize (!!) ans après les deux avis défavorables d’antan relève, tout simplement, d’une méchanceté sans fondement aucun.
Mes chers amis, je vous dois ma liberté, mais le 7 avril se rapproche et la lutte vient juste de commencer.
Bien à vous.
Cesare Battisti