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Sasha Vlad

GELLU NAUM, DE L’AUTRE CÔTÉ

lundi 21 octobre 2002.
 
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n jour de 1935, dans une galerie de Bucarest, Victor Brauner voit un jeune homme figé devant une de ses peintures. Intrigué, il s’approche et lui demande s’il aime ce genre d’art. « C’est ce que je voudrais écrire » lui est-il répondu. Gellu Naum a vingt ans, il a déjà écrit bien des poèmes, et de cette rencontre qu’il voit marquée au signe du destin naît une amitié qui va durer jusqu’à la mort de Brauner.

En 1978, Naum évoque cette rencontre comme « n’appartenant pas au royaume des souvenirs, de l’histoire ou du temps. Elle eut lieu et il fallait qu’elle ait lieu. Avec une précision qui appartenait plus à l’astronomie qu’à l’art. ». Avec Brauner pour guide, Naum devient familier des œuvres de Breton, Péret, Artaud et des autres surréalistes, dès leur publication.

Ses premières plaquettes de poèmes Le Promeneur incendiaire et La liberté de dormir sur un front sont publiées en 1936 et 1937 avec des illustrations de Brauner.

Ses études de philosophie le mènent à la Sorbonne en 1938. Brauner, Jacques Hérold, Ghérasim Luca et d’autres artistes roumains sont déjà à Paris. Naum rencontre les surréalistes, et se lie d’amitié avec Pierre Mabille. Mais vers la fin de 1939, Naum et Luca décident de repartir. Pendant le voyage, ils décident de fonder un groupe surréaliste en Roumanie.

A Bucarest le groupe prend forme -Naum et Luca acceptent trois autres membres : Virgil Teodorescu, Paul Paun et Dolfi Trost. Pendant les années de guerre leur activité surréaliste est des plus intenses.

« Le groupe surréaliste de Roumanie a été le plus exubérant, le plus aventureux et même le groupe le plus délirant du surréalisme international », dit Sarane Alexandrian dans Le Surréalisme et le rêve. De 1945 à 1947, les membres du groupe réussissent à publier la plupart de leurs œuvres et organisent deux expositions d’œuvres surréalistes. C’est à cette époque qu’ils essayent d’établir un contact avec le mouvement surréaliste international par l’envoi d’un texte : Dialectique de la dialectique. La réponse venue de Paris est enthousiaste, ils entrent aussi en relation avec les surréalistes tchèques du groupe Ra : Joseph Istler, Miloš Koreček, Zdenĕk Lorenc et Ludwig Kundera. Mais le régime communiste interdit très vite toute expression qui diverge des préceptes du réalisme socialiste. Le groupe se sépare : Luca et Trost émigrent au début des années 50, suivis quelques années plus tard par Paul Paun. Virgil Teodorescu reste en Roumanie et devient le Louis Aragon roumain -il publie des odes au parti communiste et à ses dirigeants. Sous Ceausescu il devient le président de l’Union des écrivains roumains.

Gellu Naum reste seul en Roumanie à continuer la quête surréaliste. Pendant 20 ans il n’est pas autorisé à publier sa poésie. Pendant les années 50 et le début des années 60, il souffre de dépression, et survit en faisant des traductions et en écrivant des livres pour enfants. Après 1965 une certaine liberté est octroyée aux artistes et Gellu Naum est autorisé à publier ses poèmes. Ses livres de cette période (Athanor, L’Arbre animal, Mon Père fatigué, La Description de la tour, et L’Autre Côté) réaffirment la profondeur de son engagement surréaliste. D’autres suivent dans les années 80, publiés avec des difficultés croissantes à cause de la censure du régime de Ceaucescu. En 1985 il publie Zenobia, un « rhoman » autobiographique (l’orthographe spéciale de Naum qu’il utilise aussi pour ses « pohèmes » est un clin d’œil à Vaché) qu’il dédie à sa femme Lygia. Après 1989 on publie nombre de ses textes. Certains sont traduits en plusieurs langues.

En Roumanie, Naum, qui fut pour beaucoup de gens l’incarnation du merveilleux, jouissait d’une réputation secrète d’alchimiste et de magicien. On lui attribue, entre autres, la découverte d’une ville antique par sa méthode d’« archéologie médiumnique ». L’étoffe des mythes est faite de cela…

- L’Autre Côté, Cartea Românescă, 1998.

- Zénobia, Calmann-Levy, 1995.


L’AUTRE CÔTÉ

L’ÊTRE Á DEUX AILES
CIRE GOMME TEINTURE

Annonciateur des communions extatiques il a déjà derrière
lui un long passé une longue file de compagnons inaltérables silencieux

LE PRÉCURSEUR DE LA PROIE
SON HÉROÏQUE REPRÉSENTANT

À l’exemple de mon lion contemplatif il porte sur ses épaules
une fastueuse crinière blonde

SON APPARITION PRÉCÈDE
LA SOUFFRANCE ET PARFOIS LA DESTRUCTION

Pour armes il utilise le pouvoir répulsif du Bouclier la force
contraignante des Nœuds et le privilège dissolvant du Feu

LE DEUXIÈME COMPAGNON
LE THÉRAPEUTE
ADEPTE DES ÉTATS ÉLÉMENTAIRES



J’ignore ce qu’il veut mais il me montre la miniature d’une
cloche bourrée de foi

COMMENCE ALORS
UNE CHASSE CHAOTIQUE

Dans les espaces tortueux entre la tanière et le piège j’entends
crépiter le feu dans nos poches

L’AUTRE CÔTÉ
ENVOIE LE PREMIER SIGNE

Et voici celle d’au-delà les paupières la féroce mammifère
qui remue ses jambes de bouc

LE SECOND SIGNE RÉINSTAURE
LE PRESTIGE DES ACCOUPLEMENTS ARCHAÏQUES

Elle m’étreint et ainsi nous pouvons traverser sans trop
de périls des contrées plutôt maléfiques

TÉMOIGNAGE EN FAVEUR DE LA MATRICE
ET DE SES VESTIGES

Son feu froid m’épargne la nostalgie menaçante des éléments
non développés

Á NOS YEUX SE DÉCOUVRE LA SOURCE INSONDABLE
DE L’AUTRE CÔTÉ

Enfin nos bouches peuvent employer le langage obscur
les termes secrets des substances les agglomérations desséchées
retrouvent leur semence

(traduit par Annie Bentoin et Andrée Fleury)